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nation, et qu’il aurait gouverné avec l’indépendance et la droiture reconnues de son caractère.

Certains électeurs, enfin, qui ne contestaient pas dans ses grandes lignes la politique de Léon XIII, pensaient qu’il valait mieux qu’elle ne continuât pas à être appliquée par la même personne ; que vingt-cinq ans de règne avaient rendu bien des changemens nécessaires, créé ou enraciné plus d’un abus qu’il fallait réformer, et fait surgir plusieurs questions nouvelles qui ne pouvaient être bien résolues que par un homme nouveau. À cette opinion appartenaient, paraît-il, les jeunes et brillans archevêques du Nord de l’Italie. Ils disaient : « Nous voudrions un Pape qui n’ait été mêlé à aucune polémique et dont le nom signifie paix et concorde, qui ait vieilli dans le ministère des âmes, qui s’occupe avec détail du gouvernement de l’Eglise et qui soit avant tout pasteur et père. Ce Pape, nous l’avons sous la main. Il a réussi à merveille dans son important diocèse. Il unit un jugement très droit à une grande austérité de mœurs et à une bonté admirable qui lui a gagné les cœurs partout où il a passé. Nous voterons pour le patriarche de Venise ! »

L’élection de Pie X est sortie de ces oppositions coalisées contre le cardinal Rampolla et de la faveur immédiate qui s’attacha au nom de Sarto, dont la candidature prit corps et devint très sérieuse le dimanche matin, au moment même où éclatait un incident imprévu dont le retentissement dure encore.

Quelques jours avant le Conclave, arrivait à Home un cardinal autrichien dont on remarqua bientôt la mine austère, les propos édifians et l’air préoccupé. Il faisait beaucoup de visites et allait d’un cardinal à l’autre en répétant : « Quelle grave affaire ! Prions bien ! Invoquons l’Esprit saint ! Unissons-nous ! » Parlant parfaitement notre langue, il se montrait empressé auprès des cardinaux français, auxquels il aimait à rappeler que son grand-père avait servi sous Napoléon en qualité de colonel de la Grande Armée. « Vous plairait-il, lui dit l’un d’eux, de déjeuner avec vos collègues de cette nation que vous aimez ? — Je ne puis pas, Eminence. Je ne mange plus ! Je ne songe plus qu’à la grande affaire et je prie tout le temps. — Vous semblez en effet préoccupé, Eminence, et l’on dirait que vous êtes chargé du secret de l’Empereur. Vous travaillez pour ou contre un candidat ? — Je n’ai point de candidat pro ; mais j’ai un candidat contra. Il faut un pape qui fasse de la politique un moyen et