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Français pour oublier le guignon d’être née Allemande. » En m’en allant, il me fallut avaler encore une autre pilule ; j’entendis en passant une vieille Polonaise qui disait à sa voisine : Pauvre petite, Vienne lui fera du bien. »

La reine de Westphalie, qui était une Wurtembergeoise, écrivait, elle aussi : « J’aime Paris jusqu’à la folie. »

Partout, la langue française dominait encore ; jusqu’au cœur du parti national. Schön, en Allemand de l’extrême frontière orientale, reprochait au grand champion de la nationalité allemande, à Stein, d’écrire sa correspondance intime, avec sa femme et ses enfans, en français.

Et lorsque la reine Louise écrivait le journal de son voyage à Saint-Pétersbourg, de ce voyage qu’elle avait tant désiré faire, en 1809, malgré les patriotes, c’était en mauvais français, mais c’était en français, qu’elle traduisait les impressions de son séjour à la cour de Russie.


IV

Gardons-nous, toutefois, de méconnaître le rôle qu’a joué, dans la propagande française en Allemagne, la personnalité de Napoléon, l’extraordinaire prestige de sa puissance et de sa gloire. Il n’entraînait pas seulement les milieux militaires qui comparaient la gigantesque organisation de la Grande Armée aux anciennes misères de l’armée d’Empire ; une parole, un regard de Napoléon avait séduit les généraux saxons, bavarois, wurtembergeois : Thielmann, Wrede, ou Normann ; et, bien des années après, à l’heure même où Béranger chantait la légende napoléonienne, et où Chamisso adaptait en allemand les œuvres du chansonnier français, des Allemands s’étonnaient de retrouver, au fond même de leurs villages, de vieux soldats de l’Empire qui, eux aussi, avaient gardé et propagé les souvenirs de la grande épopée, le culte de la gloire dont ils avaient été les humbles artisans. « L’Allemagne, » écrit Beugnot, « l’Allemagne, où le merveilleux occupe toujours une grande place, a mis beaucoup de temps à se débarrasser de son admiration pour l’Empereur. »

La personnalité même de Napoléon exerçait une sorte de fascination. L’immatriculation napoléonienne était quelque chose d’autre encore qu’un acte d’adhésion raisonné. Chez les Allemands, surtout, l’imagination et le sentiment s’en mêlaient.