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Etait-ce une sorte de fatalisme qui courbait les esprits devant l’irrésistible puissance de cette volonté unique, déchaînée comme une force de la nature ? Etait-ce que l’espèce humaine incline à s’adorer elle-même, à adorer l’expression de sa propre puissance dans celle d’un homme qui semblait reculer les limites de son action, et doubler ses facultés ? Un culte religieux, un sentiment aveugle, admirablement entretenu par les mises en scène impériales, entraînait bien des esprits.

Même les natures les plus résistantes n’avaient pu se soustraire à des impressions de ce genre. Pie VII lui-même y avait été accessible. Le duc de Weimar, qui s’était montré toujours si rebelle aux tentatives de la propagande napoléonienne, avait été séduit, en avril 1813, par l’action personnelle de Napoléon. Saint-Aignan lui demandait s’il avait été content de son entrevue avec l’Empereur. « Content n’est pas le terme, » répondit-il, « mais étonné ; car c’est un être vraiment extraordinaire. Ce n’est pas un esprit européen ; c’est un génie oriental ; il m’a semblé comme inspiré. »

Et combien, sur l’imagination populaire, l’entraînement était plus sensible !

L’acte qui avait fondé la Confédération du Rhin avait fait apparaître une nuée de publicistes qui développaient, interprétaient, expliquaient la nouvelle constitution. C’était une pluie de dissertations, de théories juridiques, par où l’on s’efforçait d’habiller ce mannequin français de quelques oripeaux allemands. Parmi ces publicistes de talent médiocre, le pasteur wurtembergeois Pahl représentait l’esprit allemand de la Confédération du Rhin dans ce qu’il avait de plus national. Il avait, à la paix de Lunéville, publié un appel patriotique aux Allemands, pour leur conseiller de concentrer les forces de l’Empire. Il avait été soupçonné d’avoir écrit le livre qui fît fusiller Palm. Il avait continué à publier, sous le régime napoléonien, un des nombreux écrits périodiques où se manifestaient encore timidement quelques vestiges d’esprit public : la Chronique nationale des Allemands.

On jugea l’écrit assez dangereux pour que la censure du roi de Wurtemberg le supprimât. Pahl avait osé écrire, au début de la campagne de 1809, que l’Autriche n’était pas une puissance tout à fait négligeable.

Écoutons l’humilité de ce nationalisme timoré : « Je pouvais de moins en moins, » écrit Pahl en parlant de la crise de 1809,