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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/36

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colonie. Au défaut de l’Amérique, je préfère l’Angleterre à tout autre pays. Je prendrai le titre de colonel Muiron[1]. Si je dois aller en Angleterre, je désirerais être logé dans une maison de ; campagne, à dix ou douze lieues de Londres, où je souhaiterais arriver le plus incognito possible. Il faudrait une habitation assez grande pour y loger tout mon monde. Je suis désireux, et cela doit entrer dans les vues du gouvernement anglais, d’éviter Londres. Si le ministère avait envie de mettre un commissaire anglais près de moi, il veillera à ce que cela n’ait aucun air de servitude. » Dans cette dictée où l’Empereur semble prendre ses dernières dispositions pour les funérailles de sa liberté, il n’exprime plus qu’un bien vacillant espoir d’aller en Amérique. Il mentionne encore ce désir ; mais son envoyé n’a pas l’ordre d’insister pour l’obtention des sauf-conduits. Gourgaud doit seulement s’occuper de régler au mieux les détails d’une demi-captivité en Angleterre. Il n’y a plus d’Empereur, il n’y a plus de Napoléon, ni de Bonaparte. Il n’y a plus que « le colonel Muiron. »

Vers quatre heures, Las Cases, accompagné de Gourgaud, se rendit pour la troisième fois sur le Bellérophon. Chargé des fonctions de maréchal des logis, il devait faire préparer à bord de ce vaisseau l’installation de l’Empereur et de sa suite. Il apportait à Maitland la liste complète de tout ce monde, et aussi une lettre du Grand-Maréchal annonçant l’arrivée de l’Empereur à la première marée du lendemain. « L’Empereur, ajoutait Bertrand, se rendra avec plaisir en Amérique, si l’amiral vous envoie les sauf-conduits demandés pour les Etats-Unis ; mais, au défaut des sauf-conduits, il se rendra volontiers en Angleterre, comme simple particulier, pour y jouir de la protection des lois de votre pays. » Maitland fît aux parlementaires un accueil empressé. « J’avais fort à cœur, avoua-t-il plus tard, de terminer l’affaire que j’avais amenée si près de sa fin. » Après avoir lu la copie de la lettre au Prince-Régent, copie incluse dans la lettre de Bertrand, il donna l’ordre au commandant du Slaney de prendre Gourgaud à bord de cette corvette et d’appareiller le soir même. Confiant dans les bonnes paroles de Maitland, Gourgaud croyait aller directement à Londres. Le Slaney devait mouiller à Plymouth, puis dans la rade de Torbay, avec pavillon de quarantaine pour interdire toute approche.

  1. Muiron était le nom d’un aide de camp de Bonaparte tué à Arcole en le couvrant de son corps.