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de Gaignières servait à fermer une cheminée ou constituait le battant d’une porte de meuble. Il fallut qu’un étranger, un excentrique, presque aussi fol que l’avait pu être Roger de Gaignières, apparût dans la fin du siècle et s’amusât à recueillir les vieux panneaux déshonorés, les réhabilitât, les mît dans sa galerie. Il se nommait Quentin Crawfurd, et, s’il n’eût été Écossais, la Révolution ne lui eût guère pardonné cette réunion de figures « féodales » où Louis XI voisinait avec la reine Catherine. Un Français libre eût rougi d’accorder son attention à de pareilles horreurs lorsque Rome et Athènes revivaient dans l’art du grand David.

On vit cependant un citoyen courageux, gardien du patrimoine national dévasté, Alexandre Lenoir qui, au moment le plus sombre de la Terreur, reprit les traditions de Gaignières. Sa défense désespérée empêcha que le désastre fût irréparable. C’était au temps où les Flandres et l’Italie cachaient leurs trésors, et y ajoutaient la majeure partie de nos dépouilles, amplifiant ainsi la chronique déjà si majorée de leur bagage artistique. Faute d’un historien spécial, nous achevions de préparer le néant en faisant disparaître les derniers témoins. Et qu’étaient les épaves sauvées par Crawfurd et Alexandre Lenoir, comparées aux chefs-d’œuvre anéantis ? Le Louvre, Fontainebleau, les églises, les monastères, le Palais de Justice même, décorés de peintures murales, encombrés de tableaux votifs et de tapisseries, étaient badigeonnés par les partisans exclusifs de l’art grec, ou débarrassés de leurs tableaux par des « brise-tout. » Le clergé d’auparavant avait accompli des prouesses pires ; l’œuvre gothique avait dû céder le pas aux impersonnelles histoires de décadens italiens, choses piteuses et sans âme, malsaines dans les tendances qu’elles provoquaient. C’est ainsi que, au moment où des écrivains sérieux se voulurent inquiéter des origines, ils n’aperçurent plus, en France, que l’Italie d’un côté, les Flandres ou l’Allemagne de l’autre, et leur opinion se forma sur ces données. On dit encore aujourd’hui communément que la France n’a pas de Primitifs, ce qui est presque vrai, car on ne lui en a guère laissé. Mais lorsqu’on assure qu’elle n’en a jamais eu, on donne dans une erreur grossière, comme cet Allemand qui voyant passer les troupes françaises échappées à la Bérésina s’écriait : « Avoir pensé conquérir le monde avec cela !… »

Cependant tout n’a pas été anéanti, et si le Duc d’Aumale est allé chercher à Francfort, chez un vieux jurisconsulte