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Mais, à côté des grands inspirés, et cherchant à se ménager, dans leur ombre, une place qui fût à lui, il se trouvait dans l’école un poète plus laborieux que spontané, et doué de plus de subtilité pour l’analyse que de puissance pour la création. C’était un lettré, presque un érudit ; et cela seul suffisait à le distinguer de ses compagnons, fiers de leur ignorance superbe. Il venait de découvrir la Pléiade et par une erreur ou une complaisance ingénieuse, il allait y rattacher le Cénacle. Or dans le trésor de la poésie du XVIe siècle, il avait trouvé le sonnet. Il le recommandait à ses amis.


Ne ris point des sonnets, ô critique moqueur !
Par amour autrefois en fit le grand Shakspeare :
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire
Et que le Tasse aux fers soulage un peu son cœur.
Camoens de son exil abrège la longueur,
Car il chante en sonnets l’amour et son empire.
Dante aime cette fleur de myrte et la respire
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur.
Spencer s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries,
Milton chantant les siens ranimait son regard,
Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France
Du Bellay le premier l’apporta de Florence
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.


Lui-même donnait l’exemple. Par malheur, l’exécution restait inférieure. C’était peu de chose que la note grêle de Joseph Delorme et des Consolations dans le grand concert du lyrisme romantique. Aussi le sonnet ne va-t-il reprendre faveur que peu à peu et lentement. En 1857, sur les cent pièces des Fleurs du Mal, on compte quarante-quatre sonnets : Baudelaire réalisait, avec des ressources d’art singulièrement plus riches, le rêve de poésie intime et morbide qui avait été celui de Sainte-Beuve. Et il se trouvait amené par-là à se servir de la même forme. En 1862, Leconte de Lisle, conquis au sonnet dans les Poèmes barbares, clame dans son admirable sonnet des Montreurs sa protestation contre la poésie personnelle. Une ère nouvelle commence dans l’histoire du sonnet. Le Parnasse contemporain de 1866 contient une série de sonnets signés des noms de tous ceux qui vont composer l’école nouvelle, de Dierx à Coppée, de Cazalis à Verlaine et de Valade à Albert Mérat. Désormais le sonnet va être