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l’ancienne chapelle où jadis les Chartreux priaient, le bréviaire en main. La soleil descend par les vitraux gothiques, illuminant d’étranges cités vertes et dorées qui se profilent contre un ciel d’un bleu sombre ou d’un rouge de sang ; tandis qu’au dehors, dans le cloître voisin, le chant des oiseaux se mêle au murmure monacal d’une fontaine.

Et l’on songe à tous ces maîtres dont les noms resteront à jamais ignorés, à ceux que l’on doit se contenter d’appeler « le Maître de l’Autel Imhof, » ou le « Maître de la Vie de Marie. » Ces vieux artistes étaient si habiles à tailler le bois ou la pierre, à ciseler l’argent, à peindre sur les murs ou sur les panneaux, qu’aujourd’hui encore ils nous servent de professeurs et de modèles ; et, tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait simplement « pour l’honneur de Dieu… » C’est pour cela qu’a travaillé le moyen âge, pour que Dieu puisse voir son travail. Le « public » de ces vieux maîtres, c’était Celui qui voit tout. Et de là l’inépuisable richesse que nous montrent aujourd’hui les moindres églises gothiques. Tout y était élaboré avec le même soin, avec le même amour, aucun détail n’était tenu pour négligeable ou insignifiant : car on avait l’idée que tous étaient également proches pour l’œil de Dieu. Tandis que l’artiste moderne, dont le public est d’une autre sorte, se dirige forcément d’après d’autres principes. Le goût de ses cliens est instable, changeant, ignorant : force est donc à l’artiste de le fixer, et de le suivre, et de l’éblouir. Et ainsi naît un art dont l’objet principal est de « répondre au goût dominant, » un art dont les produits attestent, et bien tristement, quel est le goût qui « domine » dans le public d’aujourd’hui…

Voilà à quoi l’on ne peut s’empêcher de songer, dans la vieille chapelle des Chartreux, pendant qu’au dehors la fontaine murmure dans le cloître, et que le soleil illumine les vitraux, peints jadis, par un artiste inconnu, « pour l’honneur de Dieu. »


Mais il y avait aussi bien des traits des mœurs bavaroises d’à présent qui, même à Nuremberg, avaient étonné et touché le jeune voyageur. Les paysans qu’il rencontrait dans ses promenades le saluaient familièrement de leur « Que Dieu vous bénisse ! » traditionnel. « Que Dieu bénisse votre repas ! » lui disait le patron de son auberge en lui servant son dîner. Sur la place de l’église Notre-Dame, un ouvrier, ayant tiré de sa poche sa tabatière, la lui avait tendue avant d’y prendre lui-même une prise. Et quelle naïve et fervente piété il avait trouvée chez ces braves gens ! « C’était jour de marché, sur la place, devant l’église. A tout moment, une femme entrait dans l’église, avec un grand panier plein de légumes, posait le panier près d’elle, s’agenouillait, et récitait une prière, avant d’aller se perdre de nouveau dans la foule. Je voyais aussi entrer des collégiens, avec des livres sous le bras ; ils posaient leurs livres sur un banc, s’agenouillaient, faisaient un signe de croix, et priaient, avant de se rendre à leur classe. Et moi, quand la messe fut finie, et que je me retrouvai seul dans l’église, je me disais :