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qu’un petit esprit, et dépourvu de tout talent ou mérite quelconque. Si bien que, depuis ce moment, ils l’ont rayé de la liste des écrivains danois. Jamais plus leurs journaux ne parlent de lui, sauf parfois pour le railler dédaigneusement ; et il faut voir de quel ton de mépris les critiques allemands signalent, de leur côté, chaque nouvelle traduction de l’un de ses ouvrages.

Car le fait est que l’auteur du Livre de route, pour avoir abandonné les doctrines qui lui avaient inspiré ses premiers écrits, n’a nullement renoncé à sa profession d’homme de lettres. Après une très intéressante étude historique et esthétique sur l’abbaye bénédictine de Beuvron, où naguère lui était apparu d’abord l’idéal de la vie religieuse, il a publié notamment un petit recueil de Paraboles, qui est peut-être, dans toute son œuvre, ce qu’il a produit de plus délicat et de plus achevé. Nulle trace ne s’y montre plus de l’agitation fiévreuse des années précédentes. On y sent une âme définitivement délivrée des angoisses du doute, reposée, pacifiée, redevenue assez maîtresse de soi pour avoir de nouveau le loisir d’exprimer sa pensée en de fraîches, légères, et souriantes images. L’une de ces Paraboles nous raconte, par exemple, la résolution prise un jour par les plantes de s’affranchir de leur dépendance à l’égard du soleil. « Mes sœurs et mes frères, leur dit un jeune platane, je ne suis pas bien certain que la lumière du soleil nous soit aussi nécessaire qu’on l’a prétendu. Je soupçonne fort cette doctrine de la nécessité du soleil pour la vie des plantes de n’être, au fond, qu’un vieux mythe, une superstition, et indigne de nous. Nous avons en nous un désir naturel d’indépendance qu’il est temps que nous satisfassions. Satisfaisons-le, faisons un effort pour nous émanciper, et alors naîtra une nouvelle génération de plantes plus vigoureuse et plus belle, et le monde entier sera forcé de nous admirer ! » Sur quoi, toutes les plantes décident de se mettre en grève, et de ne plus recevoir désormais la lumière du soleil ; et pendant que, de jour en jour, elles s’étiolent et dépérissent, on les entend qui répètent fièrement : « Nous nous sommes affirmées ! Nous nous sommes ennoblies ! Nous avons reconquis notre individualité ! » Ou bien c’est un alchimiste qui, dans le silence de son laboratoire, simplement, laborieusement, se plaît à préparer des poisons nouveaux. Puis il s’accoude à sa fenêtre, et rêve, sous le clair de lune :


Mon maître, ce grand homme, quand je pense qu’on l’a brûlé sur le Marché, à la joie des prêtres et de la populace ! Un homme si noble et si bon, qui jamais n’aurait fait du mal à une mouche ! Un savant, toujours