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mode nouvelle des cafés viennois. Mais surtout, et souvent même malgré la pluie, musique sur les places et les carrefours, à chaque coin des rues. Vers onze heures, le soir, quand les paisibles bourgeois de la Rue-aux-Grains s’apprêtaient enfin à se mettre au lit, après être allés avec des voisins boire un verre de vin blanc et chanter quelques joyeux canons à la Cave de Saint-Pierre, voici qu’ils entendaient accorder des violons, en bas, sous leurs fenêtres : vite les fenêtres s’ouvraient, vingt têtes apparaissaient, en bonnets de nuit ; et l’on écoutait la sérénade jouée là par un quatuor à cordes avec un hautbois et deux cors, une belle sérénade en quatre ou cinq parties, dont on apprenait ensuite qu’elle venait d’être expressément composée par M. l’organiste Adlgasser, ou par M. le maître de chapelle Eberlin, pour célébrer l’anniversaire de naissance ou la fête d’une des demoiselles de l’épicier Zezi ou du marchand de fers Robinig, sur la commande d’un frère, d’un fiancé, ou encore d’un admirateur qui avait défendu que l’on dît son nom.

Tout, au reste, dans cette ville imprégnée de musique, les tours, les escaliers, les portes, tout chantait. Sur la Place de la Résidence, en 1703, l’archevêque Jean-Ernest, pour rappeler d’heureuses spéculations faites par lui avec la Compagnie hollandaise des Indes Orientales, avait installé un grand carillon à la manière de ceux des Pays-Bas, le célèbre Glockenspiel) qui jouait ses airs deux fois par jour, après l’Ave Maria. Puis, quand le Glockenspiel avait fini de jouer, un orgue mécanique lui répondait, du haut de la forteresse. C’était, ce « Taureau de Salzbourg, » un véritable chef-d’œuvre d’invention et d’art. Longtemps, depuis deux siècles et demi, il avait joué le même air, un vieux chant d’un contrepoint ingénu : mais l’archevêque régnant, Sigismond de Schrattenbach, avait décidé de joindre à ce chant d’autres morceaux d’un goût plus moderne, qu’il avait commandés aux sieurs Jean-Ernest Eberlin et Léopold Mozart, les deux compositeurs les plus estimés de la ville. Les morceaux s’annonçaient par un accord, un majestueux « cri d’orgue, » qui donnait le ton : après quoi se déroulaient, suivant le mois de l’année, la Chasse ou le Minuetto Pastorello de M. Mozart, ou encore, — un régal pour les « dilettanti » salzbourgeois, — la charmante Berceuse de M. Eberlin. Dans la Salle des Carabiniers, à la Résidence, il y avait un balcon de cuivre doré dont chaque pilier, au toucher, faisait entendre une note de la gamine. Et dans maint