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bois peint et les pierres tombales, les poêles, les cages, les sonnettes, les cibles du tir à l’arc. La rudesse allemande et l’emphase italienne, en s’y mêlant, se tempéraient l’une par l’autre, pour produire un style propre, d’un agrément à la fois plus simple et plus mesuré. Mélange qui n’allait point, d’ailleurs, sans de graves dommages pour les plus précieuses vertus foncières de l’âme des deux races, et certes l’art de Salzbourg, avec tout son charme, restait bien pauvre en comparaison de celui de Vérone ou d’Augsbourg. Mais que naquît, par miracle, un homme d’un génie assez fort pour résister à l’action amoindrissante du goût salzbourgeois, un homme capable de penser, ou de sentir, ou d’observer plus profondément que l’ordinaire des gens de son pays : et l’on conçoit quelle incomparable école de beauté ce goût naturel de son pays devait être pour lui.

Un tel miracle s’était manifesté déjà, une première fois, vers la fin du XVe siècle ; non pas en vérité à Salzbourg, mais dans une bourgade tyrolienne des environs. Il y avait eu là un obscur paysan nommé Michel Pacher, ouvrier sculpteur et peintre, qui, sous la seule influence de son génie personnel et de l’atmosphère artistique de sa petite patrie, s’était élevé au rang des plus hauts maîtres de l’art de son temps. L’immense retable qu’en 1481 il a signé de son nom dans l’église abbatiale de Saint-Wolfgang, tout près de Salzbourg, est, — du moins dans celles de ses parties qu’il a peintes et sculptées lui-même, — une de ces œuvres très rares qui donnent à la fois l’impression d’une grande puissance et d’une grâce parfaite. Œuvre allemande ? italienne ? Ni l’Italie ni l’Allemagne, en tout cas, n’en ont d’autre semblable à lui comparer. Vainement on chercherait dans tout l’art de ces deux races des figures qui, aussi vivantes, soient en même temps aussi belles : je veux dire vivantes d’une vie tout humaine, au point qu’on croirait entendre le battement de leurs cœurs, et cependant pures, et nobles, et saintes, avec, jusque dans les plis de leurs manteaux d’or, un reflet mystérieux de leur divinité. Et si la critique italienne n’a évidemment aucun droit sur une œuvre née en terre allemande, signée d’un nom allemand, la critique allemande, de son côté, se trompe à coup sûr lorsque, après avoir célébré le retable de Saint-Wolfgang, elle en fait honneur au génie de l’Allemagne. L’Allemagne, au temps où travaillait Pacher, ne manquait pas de peintres, ni surtout de sculpteurs ; elle en avait à