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somnolence mêlée d’un peu de pitié, — car on songe au pauvre petit garçon à qui la musique se révélait sous une forme aussi vide, aussi sèche, aussi dépourvue de lumière et d’accent, — quand, tout à coup, on se sent réveillé par une aimable surprise. Rompant la monotonie glacée des pièces précédentes, voici que la quinzième pièce, un menuet en fa majeur, se met tout à coup à vivre, à chanter ! Son ordonnance, pourtant, est la même tout à fait que celle des autres menuets qu’on vient de parcourir : même longueur, mêmes rythmes, même façon d’accoupler les deux voix : mais c’est comme si, dans une même langue, on entendait brusquement des vers, après une suite de mots alignés au hasard. On se reporte à l’endroit où Léopold Mozart a noté la date des divers morceaux. Et on lit : « Le numéro 13, notre Wolfgangerl l’a appris le 4 février 1761, et le numéro 14, le 6 février ; le numéro 15, il l’a composé en janvier 1762. » Ce chant d’oiseau, dans ce désert, c’est la première œuvre du petit Mozart ! D’emblée, l’enfant a deviné la musique : et le plus étonnant est qu’il n’en ait pas été empêché par le sang paternel qu’il avait dans les veines.


La musique, au reste, n’avait été qu’un pis-aller dans la carrière de Léopold Mozart. Il l’avait étudiée dans sa jeunesse, à Augsbourg, où il était né. Un chanoine de l’église Saint-Pierre de cette ville, son parrain, l’avait fait admettre dans la maîtrise de la célèbre abbaye bénédictine de Saint-Ulrich, en même temps qu’il lui faisait donner une excellente éducation littéraire : espérant sans doute que son protégé pourrait entrer dans les ordres, ou, à défaut de vocation, devenir organiste. Mais le jeune homme ne s’était senti de vocation ni pour la prêtrise, ni pour la musique, de telle sorte qu’on s’était arrêté à l’idée d’en faire un homme de loi. On l’avait donc, en 1737, envoyé à l’Université bénédictine de Salzbourg, où, pendant deux ans, il avait eu à suivre d’abord les cours de « logique. » Il était studieux, rangé, réfléchi, avec une pointe innée de pédantisme : ses maîtres, pendant ces deux années, paraissent n’avoir eu qu’à se louer de lui. Et cependant, dès le mois de septembre 1739, le Protocole de l’Université de Salzbourg déclare que « Jean-Georges Mozardt (c’étaient là ses véritables prénoms) s’est rendu indigne du titre d’étudiant par son peu d’assiduité aux leçons de physique. » L’année suivante, en 1740, l’ex-étudiant est valet de chambre