Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

su réaliser, une fois déjà, tout l’idéal d’art du génie tyrolien. Léopold Mozart avait-il connu sa fiancée à Salzbourg, — elle y avait des parens et devait y faire de fréquens séjours ; — ou bien était-ce durant une promenade à Saint-Wolfgang qu’il l’avait d’abord rencontrée ? Nous ne savons malheureusement rien de Mme Mozart avant son mariage ; et, après son mariage même, nous ne savons d’elle que fort peu de chose. Sauf quelques fragmens de lettres tout à fait insignifians, nous n’avons à son sujet que deux documens directs, qui, d’ailleurs, tous les deux, à première vue, ne seraient point pour nous donner d’elle une idée très favorable. L’un de ces documens est son portrait, au Mozarteum de Salzbourg : il représente une bourgeoise endimanchée qui entr’ouvre niaisement la bouche pour sourire, toute fière de ses boucles d’oreilles en diamant, — ou en strass ? — et de la rangée de grosses perles qu’elle s’est mise au cou. Et l’autre document consiste en un distique écrit par Mme Mozart, le 12 août 1750, sur l’album de l’établissement de bains de Gastein :


Dem Hœchsten ach ! ich danchk vor das was ich gefunden
Von diesem edlen Baad in fünf-und-neunzig Stunden !


ce qui signifie : « Ah ! je remercie le Très-Haut de tout ce que j’ai trouvé (de profit) dans ces nobles bains, en quatre-vingt-quinze heures ! » Les vers sont incontestablement ridicules, et le portrait assez déplaisant. Mais il y a là une preuve nouvelle de la nécessité, pour l’historien, de n’interroger qu’avec méfiance les documens les plus authentiques : car tout porte à penser, d’autre part, que Mme Mozart n’a pas été le moins du monde la sotte prétentieuse qu’elle ne pourrait manquer de nous apparaître, si nous en croyions les deux seuls témoignages immédiats qui nous soient restés d’elle. C’était, au contraire, une charmante femme, simple et douce, très suffisamment intelligente pour le rôle qu’elle avait à jouer, et, j’imagine, supérieure sous plus d’un rapport à son mari, qui du reste la respectait autant qu’il l’aimait, se rendant compte, sans doute, de l’action salutaire qu’elle avait sur lui. À un grand fonds de bon sens elle joignait une lumière intérieure, un don naturel de gaîté et de rêverie, qui ont toujours fait défaut à Léopold Mozart. Les lettres écrites par celui-ci pendant ceux de ses voyages où elle l’accompagnait ont un ton tout particulier d’expansion souriante et familière : écrites par le mari, on devine que c’est lu femme qui les a