Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dictées. Peut-être a-t-elle également contribué à entretenir, chez un homme que son tour d’esprit semblait prédisposer plutôt aux idées voltairiennes, cette ardente piété qui est pour nous, aujourd’hui, un des traits les plus touchans de son caractère. Et il ne paraît pas non plus qu’elle ait été laide : son mari et elle, après leur mariage, ayant eu la réputation d’être « le jeune couple le plus beau » de la ville entière. Son portrait du Mozarteum est celui d’une femme déjà vieille, qui n’a point l’habitude de poser devant un peintre, ni de s’encombrer de bijoux français : usée, malade, le cœur plein de soucis pour l’avenir de son mari et de ses enfans (le portrait a été peint vers 1775), elle sourit du sourire emprunté des vieilles paysannes qu’on a enfin décidées à venir chez le photographe[1] ; mais, à la regarder avec plus de soin, on s’aperçoit que, sous sa laideur même, elle conserve encore le charme de fort beaux yeux bleus, clairs, brillans, profonds, tout pareils à ceux qui vont illuminer bientôt, dans la plupart des portraits, le pauvre visage grêlé et jauni de son fils. Oui ; et il n’y a pas jusqu’aux vers de l’album de Gastein qui, avec la maladresse comique de leur forme, n’attestent, chez la mère de Mozart, un certain élan spontané d’enthousiasme, l’effort d’une âme ignorante pour exprimer une émotion généreuse et belle : ils parlent plus au cœur, tels qu’ils sont, que toutes les citations latines de Léopold Mozart.


Ce couple parfaitement assorti habitait, en 1756, un appartement au troisième étage de la maison de l’épicier Laurent Hagenauer, dans la Rue-aux-Grains, la rue la plus commerçante et la plus cossue de Salzbourg. Ils s’étaient installés là dès après leur mariage ; et, tout de suite, ils s’y étaient liés d’une très vive amitié avec les propriétaires de la maison, excellentes gens qui ne cessaient point de vouloir témoigner au maître de concert leur admiration respectueuse pour ses talens, méconnus, croyaient-ils. Du reste, l’appartement lui-même, un peu bas de plafond, était bien situé, vaste, commode, sans compter qu’il avait cette apparence bourgeoise qui plaisait en toutes choses à Léopold Mozart. Il se composait de cinq pièces, dont trois donnaient sur la cour intérieure, tandis que les deux autres, beaucoup

  1. Le nouveau catalogue du Mozarteum, qui du reste est tout rempli d’erreurs, nous présente ce portrait (de format carré) comme le « pendant » du portrait ovale de Léopold Mozart, peint vers 1756.