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II. — LE MIRACLE

Le petit Wolfgang avait un peu plus de quatre ans lorsque son père reconnut, sans aucun doute possible, qu’un miracle s’était produit dans sa maison. L’enfant que lui avait envoyé le ciel se trouvait être un prodige, une exception étrange et (jamais Léopold Mozart ne devait cesser de l’entendre ainsi) providentielle aux lois ordinaires de la nature humaine. Ce n’était pas seulement qu’il laissât voir des aptitudes musicales tout à fait surprenantes chez un enfant de cet âge, mémoire, agilité des doigts, sentiment infaillible du rythme et de l’harmonie ; non, sous tout cela son père découvrait quelque chose de plus profond encore, et de plus mystérieux : quelque chose comme une présence vivante du génie même de la musique au fond de l’âme ingénue du petit garçon.

De tout temps, d’ailleurs, l’enfant avait montré déjà un tempérament singulier. Nerveux, impressionnable, toujours prêt à éclater de rire ou à fondre en larmes, il apportait aux moindres choses une passion d’autant plus étrange qu’elle contrastait plus avec la placidité habituelle de son entourage. « M’aimes-tu ? » demandait-il vingt fois par jour à sa mère, à sa sœur, aux rares personnes qu’il avait admises à la faveur de son amitié ; et quand, par plaisanterie, on tardait à lui répondre, il baissait ses grands yeux bleus et se mettait à pleurer. Lui avait-on appris un nouveau jeu ? il en oubliait de manger et de boire. Il éprouvait un besoin constant d’émotion, une sorte de hâte maladive de vivre et d’aimer, qui souvent, durant ces premières années, avait fait frémir d’inquiétude le cœur de ses parens. Mais, Dieu merci, les mois, les années avaient passé sans qu’il fût une seule fois sérieusement malade. Il grandissait, prenait des forces, se développait ; il serait même devenu un gentil enfant, si la grosseur de sa tête sur un corps trop court et trop mince, n’avait eu longtemps quelque chose de disproportionné. Et jamais enfant n’avait ouvert sur la vie un plus beau regard, plus pur, plus franc, plus illuminé de confiance naïve et de curiosité.

Aussi bien toute la vie, à Salzbourg, semblait-elle vraiment faite exprès pour amuser un enfant. C’était d’abord, sans parler des mille spectacles de la rue, le spectacle quotidien et sans cesse varié de la cour archiépiscopale, réceptions publiques au palais,