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cinq ou six grandes places fortes, au lieu des 90 que possède la France ; je suppose la France ayant ses limites naturelles. Ces villes seraient non seulement un centre pour toutes les opérations militaires, mais elles auraient encore l’avantage d’être de petites capitales qui diminueraient l’influence de Paris et ne feraient plus dépendre le sort de la France de la prise de sa capitale. Il me semble que les villes les mieux situées pour réaliser ce projet sont Anvers, Coblenz, Strasbourg, Paris, Lyon, Nantes, Bordeaux.

Paris et Lyon seraient, en cas d’invasion, les deux grands centres d’opération ; Anvers, Coblenz et Strasbourg seraient des points d’appui pour la frontière du Nord ; Nantes serait un refuge sur la Loire, dans le cas où la capitale serait prise ; quant à Bordeaux, il est, je crois, le moins important, en ce qu’il ne défendrait que le Midi contre l’Espagne.

Ce qu’il y a encore de difficile, c’est de rendre une place forte capable de résister un an à un ennemi pourvu de tous les moyens d’attaque. J’ai dans la tête une nouvelle idée exécutable seulement pour les grandes places : c’est de disposer les fortifications de manière à ce qu’il n’y ait que deux ou trois points (et non fronts) attaquables, de sorte que toutes les ressources de l’art seraient employées pour rendre ces points-là aussi redoutables que possible. Comme le désavantage de la défense ne vient que de la divergence des coups des assiégés, tandis que ceux des assiégeans sont convergens, en donnant aux fronts bastionnés un développement circulaire, il n’y aurait que l’intersection des demi-cercles d’attaquable ; ce sont ces points-là qu’il faudrait fortifier avec tout le soin possible.

Voilà, en peu de mots, mon projet, que je n’ai pas encore bien calculé, mais que je vous explique tant bien que mal, afin que vous redressiez mes idées dès le commencement, si elles sont fausses. Vous voyez, colonel, que je compte sur votre amitié, et que j’use de tout le droit que vous m’avez donné de vous demander des conseils. »


Dans les années qui suivent, le prince se trouve plus fréquemment en contact avec Dufour, puisqu’il suit sous sa direction les cours de l’École militaire de Thoune. C’est donc de vive voix, plutôt que par lettres, qu’ils peuvent s’entretenir des sujets qui les intéressent. Bientôt Louis-Napoléon va se poser en prétendant, et il prépare en secret