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pleurant la verdure fugitive, a revêtu la robe bleue de deuil. » Hérétique dans l’Islam, le Persan a conservé les décorations animales, proscrites chez les Turcs, et incorpore à ses tapis des poésies qui les commentent : « Sous le feuillage de chaque branche, dans ce jardin vert, les rossignols sont enivrés au point de ne pouvoir s’envoler. » Un autre contient ces vers :

O oiseau, n’attache point ton cœur à la compagnie de la rose ;
Car, avant toi, mille autres se posèrent sur cette branche, puis s’envolèrent.


Le charme de ces devises, contemporaines du chah Ismaïl Ier, en l’an 905 de l’hégire, — 1527 de notre ère, — la belle époque des tapis, ne saurait être que faiblement goûté par les cliens du Bon Marché ou de la Place Clichy, qui ne parient guère le persan. Et les dessinateurs orientaux ne sauraient pas plus s’astreindre à nos principes, que nos artistes français ne parviendraient à se pénétrer des méthodes exotiques. Dans ces tissus aux teintes adoucies qui semblent refléter la lumière sur leur surface miroitante, la décoration n’obéit à aucune loi. Il n’est fait, parmi ces figures étranges qui ne sont ni feuilles ni oiseaux, aucune distinction des sujets d’ornement en « dominans » et en « remplissais. » En Europe, nous aimons les objets connus et définis ; notre composition se décrit aisément, — on la saisit à première vue, par la subordination des motifs dispersés et accessoires au squelette caractéristique qui en forme la base.

Cependant, nous sommes las de nos anciennes formes, de nos anciens styles ; nous demandons à tous les échos l’ « art nouveau, » l’ « art moderne » de l’ameublement, quitte à l’emprunter à l’antiquité babylonienne ou égyptienne, comme fait la joaillerie, en démarquant les bijoux, vieux de quatre mille ans, de cette princesse de la XIIe dynastie dont le trésor est exposé au Musée de Ghiseh.

Le public, saturé de la récapitulation, de la reconstitution perpétuelle des modes passées, demande aux artistes de secouer la science historique qui les étreint et les accable, pour se livrer au seul caprice de leur imagination. Rien de génial n’a été enfanté jusqu’ici par les évolutionnistes, désireux de s’affranchir des traditions et avides d’effets qui tranchent complètement avec les redites décoratives. Des compositions hybrides, sous prétexte de « stylisation de la fleur, » se sont égarées dans la bizarrerie des lignes. Seuls, les fervens du genre « Liberty » peuvent