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savourer pleinement la primeur de ces aberrations du goût. Mais un « style » ne naît pas tout d’un coup et en un jour, et la loi de la vie est d’ambitionner pour demain autre chose que la chose d’hier.

Les dessinateurs industriels doivent s’initier aux secrets de la fabrication à laquelle ils collaborent, aux ressources constitutives des chaînes et des trames, s’il s’agit du tissé, des couleurs et de leurs applications multiples, s’il s’agit de l’impression, enfin des dimensions, de la contexture et de l’emploi de l’étoffe en qui, pratiquement, leur composition sera traduite.


VI

Les grandes usines françaises de moquettes, pour satisfaire leur clientèle où tout gros marchand prétend avoir en propriété exclusive ses dessins privilégiés, s’évertuent à en inventer sans cesse de nouveaux. M. E. Laine, à Beauvais, en crée près de 500 par année, que lui fournit son atelier de peintres d’esquisses et que ses « metteurs en carte » précisent et approprient au tapis Jacquard, au tapis « chenille, » au tapis bouclé ou velouté et imprimé sur chaîne. Ce dernier type, inventé en Angleterre, est, par son prix modeste, le plus répandu, le plus intéressant pour la foule des petits consommateurs. En France, l’industriel remarquable dont je viens de citer le nom est seul encore à produire cet article qui, jusqu’à lui, nous venait exclusivement d’outre-Manche.

Dans la manufacture E. Lainé, où travaillent 1 600 ouvriers des deux sexes et d’où sortent annuellement 1 500 000 mètres de tapis, les toisons exotiques qui arrivent « lavées à dos, » c’est-à-dire après désuintage, passent d’abord au « léviathan. » On appelle ainsi une suite de bacs d’eau chaude, additionnée de carbonate de soude et de savon, où la laine, remuée par de grandes fourchettes, puis séchée entre des rouleaux compresseurs, replongée ensuite dans un nouveau bassin, en sort, après cette opération quatre fois répétée, propre à être envoyée au séchoir. Entraînée dans un vaste tambour qui tourne lentement au milieu d’un local surchauffé d’où l’air humide est aspiré par un ventilateur, elle est, aussitôt après, conduite à la filature. De là, les écheveaux bifurquent : ceux qui sont destinés aux moquettes ordinaires vont à la teinture ; elle s’exécute ici, non plus à la main comme jadis, mais dans les appareils automatiques