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— Citoyen général, les directeurs de la Monnaie jouent des pièces anti-révolutionnaires ! Dans la foule des vers aristocratiques dont fourmille celle qu’ils donnèrent hier, je ne vous en citerai que quelques-uns :


Fils de roi, dès l’enfance on dut vous enseigner
Quel sceau Dieu même imprime à ceux qu’il fait régner.


puis :

J’en dois compte à moi seul. Vous, faits pour obéir,
Au lieu de me combattre, il fallait me fléchir.


et encore :


Un roi, même coupable, est un objet sacré !


Indigné qu’on se fût permis de donner une semblable pièce, le général Moreton fit aussitôt mander les directeurs et leur témoigna tout son mécontentement.

— Que vous proposez-vous de jouer ce soir ? leur demanda-t-il.

Gaston et Bayard, mon général.

— Je vous le défends expressément. Si vous vous permettez de faire jouer cette pièce, ou telle autre semblable, comptez que j’userai de tout le pouvoir dont je dispose pour vous punir sévèrement.

D’ailleurs, ajouta-t-il en se radoucissant un peu, le plus sûr pour vous en ôter le moyen, — puisque le Conseil exécutif de France a cru, dans sa sagesse, qu’il était nécessaire d’envoyer une troupe patriote pour donner des pièces propres à éclairer l’esprit public et propager les principes de liberté et d’égalité, — le plus sûr est que vous fassiez avec la citoyenne Montansier un arrangement convenable[1].

Cette mercuriale du général, en inspirant aux directeurs un salutaire effroi, les rendit plus souples et plus disposés à entrer en accommodement, et, après une discussion qui avait duré « depuis onze heures du matin jusqu’à neuf heures du soir, » tout fut enfin terminé.

Les directeurs obtenaient quinze mille livres d’indemnité pour l’abandon de leur salle. « Je ne doute pas, ajoutait la Montansier en rendant compte au ministre, que, d’après mes bonnes intentions, le pouvoir viendrait à mon secours dans le cas où les recettes ne pourraient suffire aux dépenses[2]. »

Quel argent d’ailleurs, pouvait être mieux dépensé ? les Belges avaient tant besoin de lumières ! « Je vous assure, ministre citoyen, que jamais dépense n’aura été plus fructueuse. D’après le peu de temps que je suis ici et tout ce que j’entends, je crois pouvoir vous dire que

  1. Ibid., Lettre du 8 janvier.
  2. Ibid., Lettre du 8 janvier.