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particulière pour arrêter en quelque lieu qu’ils soient tous les individus attachés à la famille royale. » Le mot arrêter ne plaît, pas à Camus, il le déclare et ceci suscite des murmures.

— Il ne faut pas que les malveillans puissent dire, opine-t-il, que l’Assemblée nationale a donné l’ordre d’arrêter le Roi… mais seulement de l’empêcher de continuer sa route, et de le faire rentrer dans son séjour ordinaire…

Cette réserve est généralement approuvée : en hâte les secrétaires griffonnent et passent un feuillet au président qui, posément, dans le silence, donne lecture du projet de rédaction :

« L’Assemblée nationale décrète que le ministre de l’Intérieur expédiera à l’instant des courriers dans tous les départemens, avec ordre d’arrêter ou de faire arrêter toute personne quelconque sortant du royaume… et que, dans le cas où lesdits courriers joindraient quelques individus de la famille royale, les fonctionnaires publics, gardes nationales ou troupes de ligne seront tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter les suites dudit enlèvement en empêchant que la route soit continuée et de rendre compte du tout à l’Assemblée nationale. »

C’est aussitôt un murmure d’approbation ; il y a des bravos ; le décret mis aux voix est adopté à l’unanimité. Mais qui le portera ? les ministres ne sont pas là : le règlement leur interdit l’entrée de la salle ; nommés par le Roi, obéiront-ils à l’Assemblée ? On décrète de les admettre à la barre ; on décrète la permanence ; la piste devient houleuse : on ergote, on s’interpelle, on perd du temps en propositions saugrenues ; un membre, Delavigne, émet l’idée de « faire tirer par la plus grosse artillerie de Paris toutes les dix minutes un coup de canon en signe d’alarme et qu’on tire aussi, de distance en distance, un même coup de canon afin qu’on soit instruit de proche en proche de l’événement qui vient d’arriver. » La motion est très applaudie ; mais un autre, Martineau, remarque assez judicieusement que « les coups de canon porteront bien l’inquiétude dans tout le royaume, mais n’apprendront pas au peuple quelle est la cause de l’alarme. Des courriers, ajoute-t-il, valent mieux que des canons. » La chose est évidente, mais de courriers on n’en a point sans le ministre, et nul n’ose se porter garant de son assentiment. Il faut attendre : l’Assemblée s’irrite de son impuissance.