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fort incomplètes, doivent, sur ce point très important, être étudiées de près.

Il suffit d’établir ici que Viet était fixé, dès cinq heures, sur l’identité des voyageurs. Allait-il fermer les yeux ? laisser à la berline le temps de s’éloigner ? Certes, si le parti du Roi triomphait, cette abstention serait grandement profitable ; mais Viet pensa aussi et tout naturellement que, si la révolution était victorieuse, cette même abstention, en une circonstance si grave, lui coûterait sa place et peut-être sa tête. Entre la dénonciation et le silence il prit un moyen terme : celui d’avertir secrètement la poste suivante, espérant peut-être que son collègue du Pont de Somme-Vesle, n’aurait pas l’audace d’arrêter le Roi, mais tenant bien à y être pour quelque chose si la catastrophe se produisait.

Quoique les fugitifs n’aient rien compris à la série d’impitoyables hasards qui les accablèrent, il est facile de découvrir la vérité dans leurs inscientes assertions. Ainsi, entre Châlons et le Pont de Somme-Vesle, la berline royale, continuant sa paisible allure coupée de pauses fréquentes, fut devancée par un cavalier lance à fond de train. Cet homme n’était pas un ennemi, puisqu’il jeta, en passant, cet avis, plus effrayant, il est vrai, que salutaire : — « Vos mesures sont mal prises, vous serez arrêtés ! » D’où pouvait-il venir, sinon de Châlons ? Qui pouvait l’avoir expédié, si ce n’est Viet, seul informé de la qualité des fugitifs ? A partir de ce moment, l’avis de leur passage va les précéder. Une demi-heure au moins avant qu’ils atteignent le relais du Pont de Somme-Vesle, Je maître de poste de l’endroit confiera au dragon Aubriot que le Roi va passer. Et, par un contre-coup fatal, c’est dès le moment même où ce bruit prend l’avance sur les fugitifs que leurs défenseurs, postés sur la route, émus de l’inexplicable agitation des paysans, jugent prudent de se replier et abandonnent leurs cantonnemens.

Qui le père Viet avait-il chargé de cette mission ? Son fils, sans doute, qui lui avait amené la famille royale ; son fils, déjà dans la confidence depuis Chaintrix, et de la discrétion duquel il était assuré, de quelque façon que tournassent les événemens. C’est là, pourtant, une simple hypothèse. Un autre point mérite plus d’examen.

On a vu qu’en arrivant à Chaintrix, Bayon, retenu là par la fatigue et par de Briges, avait dépêché en avant, afin de ne pas