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fatigante tâche, c’est qu’il rencontrera en route, revenant vers Châlons, les deux courriers qu’il a secrètement expédiés ; son fils qui, jusqu’au Pont de Somme-Vesle a précédé la voiture royale et de Lagny qui, de très près, l’a suivie jusqu’à Sainte-Menehould ; et il tient à ce qu’aucun étranger ne s’immisce dans l’imbroglio qu’il a machiné.

Lui parti, le corps municipal reste en permanence : la population de Châlons presque entière se masse sur la place de Ville et dans les rues avoisinantes ; jusqu’à l’extrémité de la rue Saint-Jacques c’est un remous incessant de curieux qui vont aux nouvelles, de la mairie à la poste aux chevaux. Vers dix heures, grande rumeur : un cavalier escorté d’un postillon fend la foule : « Place à l’envoyé de l’Assemblée ! » C’est Romeuf, en effet, arrivant de Paris qu’il a quitté à une heure. Il est suivi par deux autres courriers, de ceux qui, le matin, au Carrousel, se sont distribué des copies de l’ordre de Lafayette, et sont partis au hasard. Les procès-verbaux donnent le nom d’un de ces hommes : Berthe Gibert. L’autre est certainement Roche, sapeur de la garde nationale, dont on relève le passage à certaines postes de la route[1].

Romeuf est introduit au Conseil ; le décret lu, il manifeste aussitôt son désir de continuer sa route. Bayon, sentant le prix de la course lui échapper, et jugeant bien que, aux côtés de l’émissaire de l’Assemblée, il ne jouera plus qu’un second rôle, ne consent pas pourtant à s’avouer distancé : il sollicite et obtient l’honneur d’accompagner Romeuf, qui, lui-même, est très désireux de calmer l’ardeur de son partenaire et souhaite tacitement quelque obstacle à l’accomplissement de sa mission. Un cabriolet est amené ; tous deux y prennent place, salués par la foule, où la garde nationale leur ouvre un passage. Il est plus de dix heures quand leur voiture, passant la porte Saint-Jacques, s’éloigne à vive allure sur le pavé de Metz. La route, plate et presque sans villages pendant dix lieues, qu’ils ont à parcourir, est déserte et calme à l’ordinaire ; sauf aux deux relais isolés du Pont de Somme-Vesle et d’Orbeval, où l’événement, par le passage des courriers successifs s’est ébruité, nul ne se doute que ce cabriolet qui roule, lanternes allumées dans la

  1. « Le 21 juin, 2 chevaux fournis par Petit, maître de poste de Meaux pour un sapeur de Paris portant l’ordre de M. La Fayette. » « Deux chevaux fournis à M. Roche, sapeur de Saint-Lazare, chargé d’ordres en allant et revenant par Frémin, maître de poste à Bondy. »