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l’amérique française.

située dans une île : ce terme ne cessa de figurer dans une quantité d’actes publics et fut reproduit finalement dans le traité de Fontainebleau par lequel Charles III d’Espagne daignait accepter le cadeau que Louis XV de France lui en faisait « par le pur effet de la générosité de son cœur. » À partir du jour où la politique générale, telle qu’il la comprenait, amena Choiseul à juger un tel cadeau nécessaire, la Louisiane, qui en était l’objet, devint « la plus belle et la plus fertile quant au sol de toutes les colonies que posséda la France. » Jusque-là, nul n’avait paru s’aviser qu’il en fût ainsi.

Sous les plumes ministérielles comme sous celles des rédacteurs subalternes, les expressions habituelles dissimulaient mal un dédain invétéré. Le seul motif de considération qui existât pour la Louisiane lui venait de ce qu’elle portait le nom de Louis XIV. En dehors de cela, on n’y trouvait rien qui valût la peine de s’occuper d’elle, et le même Choiseul lui reprochait amèrement de n’avoir pas même « de port ou de rade où puisse entrer un chebec de 12 canons. » Comptait-il donc le Mississipi pour rien ou ignorait-il qu’on pût le remonter ? Cette ignorance est très vraisemblable.

Il n’est pas surprenant qu’une administration si peu recommandable et pénétrée de pareilles idées ait fait des choix déplorables, quand il s’agissait d’envoyer en Louisiane un nouvel « ordonnateur. » La série en fut fort vilaine ; à tout prendre on n’en trouve que deux dont il soit permis de dire que le souci de leur devoir et de l’intérêt public l’emportât chez eux sur l’esprit d’intrigue et la tendance aux malversations. Représentans du pouvoir civil et dépositaires de la puissance financière, ils firent montre d’une étroitesse de jugement et d’une absence d’intégrité propres à jeter un jour bien fâcheux sur les fonctionnaires de ce temps-là. Dès 1717, un missionnaire constatait que « l’habitude de l’ordonnateur est de livrer sous le nom de vente les marchandises absolument requises pour le commerce des sauvages, de les faire transporter chez une de ses bonnes amies où elles se revendent par celle-ci à des prix exorbitans, et Dieu sait au profit de qui ! »

De telles mœurs s’accordaient trop bien avec l’esprit d’agio qui s’était développé en Louisiane et infestait la Nouvelle-Orléans : et cela encore provenait de la mère patrie. C’est elle qui avait fait un objet de spéculation de sa colonie en la concédant d’abord