Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/819

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
813
l’amérique française.

mer cette fois, l’embouchure du Mississipi, La Salle avait parcouru la partie orientale de ce qui forme maintenant le Texas et y avait péri misérablement en 1687, de la main de ses soldats révoltés. Cent trente-trois ans s’étaient écoulés entre le voyage révélateur de Fernand de Soto et l’exploration féconde de Joliet et du Père Marquette ; près de vingt années devaient passer entre la cérémonie de l’Arkansas et la fondation d’un établissement véritable.

À Le Moyne d’Iberville appartient l’honneur d’y avoir procédé. En mars 1699, il découvrit les bouches du grand fleuve, en occupa les îles, et édifia sur la côte le fort Biloxi, qui fut le berceau de la colonie. Soixante-trois ans plus tard, cette colonie nous échappait et passait à l’Espagne ; elle ne devait redevenir française, en 1803, que pour quelques semaines, avant d’entrer définitivement dans l’Union américaine. Nous venons de voir combien la France l’avait constamment délaissée pendant ces deux tiers de siècle et quels minces profits ses habitans avaient retirés de la protection d’une mère patrie inconstante et oublieuse. Pour comble d’ironie, après les avoir souvent bernés de fausses espérances et les avoir par momens laissés périr d’inanition, on disposa d’eux d’un trait de plume, sans les avoir consultés, sans même les avoir prévenus. Leur protestation alla jusqu’à la révolte. Leurs délégués tentèrent en vain d’émouvoir le roi et ses ministres ; ils ne rencontrèrent que de l’indifférence et du mépris. Alors, puisqu’ils ne devaient compter que sur eux-mêmes, ils prirent le parti d’agir et, appuyé par une pétition couverte de signatures, le Conseil supérieur de la Louisiane décida l’expulsion du premier gouverneur que l’Espagne avait envoyé, don Antonio de Ulloa. Ce gouverneur, il est vrai, n’avait pas encore pris officiellement la direction des services publics. Débarqué avec une très faible escorte, les moyens lui manquaient de faire respecter son autorité. Aussi maintenait-il en fonctions le commandant des troupes françaises, Aubry, lequel, à la mort de M. d’Abbadie, successeur de M. de Kerlerec, s’était trouvé investi du pouvoir suprême et chargé comme tel d’opérer le transfert de la colonie entre les mains du représentant de l’Espagne.

La rébellion fut tout à fait pacifique, puisque tout le monde était d’accord : Aubry fit entendre, ainsi qu’il en avait le devoir, une protestation qui demeura platonique, et Ulloa s’en alla comme il était venu, sans tambours ni trompettes. Quelques-uns son-