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bablement les pensées de Napoléon sont demeurées le secret de son cerveau, et nul document existant n’en saurait fournir le résumé. Qu’il ait cherché en Louisiane la « revanche de l’Égypte, » c’est là une assimilation de pure forme, que détruit le moindre examen de la réalité. En 1800, l’Amérique différait totalement de l’Afrique, et rien de ce que pouvait procurera une puissance européenne la possession des bouches du Nil ne lui aurait été assuré par l’occupation des bouches du Mississipi. La Louisiane, à cette époque, n’avait de valeur pour la France que comme base de ravitaillement pour une agression future contre l’Angleterre ou l’Espagne : l’idée de reprendre le Canada ou de s’emparer de la partie nord du Mexique d’alors (Texas, Nouveau-Mexique et Californie actuels) entra-t-elle à un degré quelconque dans les plans du Premier Consul ? Nous sommes condamnés sans doute à n’en jamais rien savoir.

Mais deux faits sont acquis dès à présent, dont l’importance est considérable : le premier, c’est que le désir de reprendre la Louisiane hanta à plusieurs reprises les cœurs des Français de la Révolution ; et le second, c’est que Bonaparte, ayant hérité de ce désir et l’ayant fait sien, en poursuivit très résolument la réalisation.

Dès 1790, l’Assemblée nationale avait été saisie d’une pétition signée par un grand nombre de Louisianais, qui demandaient à être « de nouveau réunis à la mère patrie. » Trois ans néanmoins se passèrent et ce fut le Comité de Salut public qui prit l’initiative d’envoyer un agent visiter la vallée du Mississipi et examiner l’état des choses au point de vue des intérêts français. Carnot était, en France, parmi les plus zélés partisans de la réannexion. En Amérique, notre bouillant et incorrect ambassadeur, le fameux Genest, qui ne s’embarrassait d’aucun scrupule légal ou diplomatique, prépara une expédition : elle fut arrêtée par l’énergique intervention de Washington. En 1795, aux négociations de Bâle, notre plénipotentiaire reçut l’ordre de demander à l’Espagne la rétrocession de la Louisiane, mais les pourparlers n’aboutirent pas.

Sur l’invitation de Bonaparte, un riche créole de la Nouvelle-Orléans, M. de Pontalba, rédigea un long mémoire sur l’état et les ressources de la colonie, mais Bonaparte n’avait point attendu que cet intéressant document lui parvînt pour hâter les nouveaux pourparlers engagés sur son ordre avec la cour de Madrid.