Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fouille la feuille, atteint, détache et goûte un fruit
Dont le lustre répond à sa lèvre qui luit,
Et se rassied au creux du banc où ses amies
Languissent, de chaleur vaguement endormies.
A chacune elle donne un baiser dans le cou,
Puis pose en le flattant sa main sur leur genou,
Et d’une brusque étreinte enlace leurs deux tailles ;
Et ce sont des éclats et de tendres batailles.
Et ces jeux leur sont doux et leur semblent charmans,
Parce que l’été rit à leurs premiers vingt ans,
Et parce qu’elles sont contentes d’être heureuses.

Beau groupe environné de jour, chères joueuses,
Je reconnais le dieu qui vous anime ainsi :
Il fut, il est ma joie et souvent mon souci ;
Je ne vois mon destin qu’à travers son image.
Pour vous seules encore il reste sans visage.
Vous ne prononcez point son nom, même entre vous,
Tant ses pressentimens rendent les cœurs jaloux.
Mais ce n’est pas en vain que vous rêvez ce maître :
Il vous guette, il attend son heure de paraître.
Demain, l’une après l’autre, il saura vous ravir.
Des larmes, un sanglot, une plainte, un soupir,
Ses bras se fermeront sur vous, vous serez femmes ;
Et, vous mêlant à lui, respirant dans ses flammes
La plus vaste espérance et le suprême orgueil,
Vous prendrez le chemin de votre nouveau seuil.
Il épanouira vos âmes ingénues
A des félicités qui vous sont inconnues ;
Et plus tard, quelque soir de juin, dans ce verger
Où rayonne aujourd’hui votre bonheur léger,
Mes yeux vous reverront, ô belles jeunes filles,
Mères, et confondant à vos pieds trois familles.


II


Si jamais à mon seuil s’arrête le Bonheur,
Je lui dirai : Poursuis ta route, voyageur,
J’ai mes hôtes ; tu peux les voir par les fenêtres
Marcher dans ma maison qu’ils occupent en maîtres.