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IV


Je suis assis devant la porte de la ferme.
Il est tard ; le village à cette heure est oisif.
Aux travaux dont la fin du jour marque le terme
Succède un silence pensif.

On entend cheminer l’automne dans les nues.
Près de moi, sur le ciel étoile des beaux soirs,
Les marronniers, dressant leurs silhouettes nues,
Sont pareils à des coraux noirs.

Un souci trop poignant m’a chassé de la chambre
Où j’employais mes soins à l’idéal labeur.
Me voici frissonnant dans la nuit de novembre,
Solitaire avec ma douleur.

Tandis qu’autour de moi sommeille toute chose,
L’air frais accroît ma fièvre au lieu de l’apaiser,
Et, par momens, lascif, sur ma bouche il se pose
Comme un invisible baiser.

Mais pourquoi, lâchement attentif à moi-même,
Prétendre que ma plainte occupe l’Univers ?
Voici dans l’ombre un soc qui luit. Demain l’on sème :
Les sillons nouveaux sont ouverts.

Le laboureur s’endort content dans sa masure :
Qu’importe donc qu’en proie à l’horreur d’être né,
Je souffre d’un amour sans but et sans mesure
Et de mon cœur désordonné ?


V


J’ai croisé sur la route où je vais dans la vie
La Mort qui cheminait avec la Volupté,
L’une pour arme ayant sa faux inassouvie,
L’autre, sa nudité.