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demi-cercle géant entre deux caps : Little Orme’s Head, ondulé en colline là-bas, vers l’est ; et Great Orme’s Head, dont la silhouette lourde domine la côte et tombe, brusquement coupée, dans la mer. On peut contourner sa base par une route taillée en contre-bas qui offre une merveilleuse promenade ouverte sur le large, Marine Drive. Je m’y engageai dans le vent. Le soleil, vif au ciel nuageux, jouait sur l’ondulation glauque des flots et la nuançait de vert, d’ardoise et de mauve, avec de scintillantes traînées d’argent. Par-delà cette étendue changeante, c’est, à l’ouest, Anglesey et l’Irlande, au nord, les Highlands gaéliques d’Ecosse, le fabuleux domaine du Roi des Iles, dont la gloire emplit les poèmes d’Ossian. Je suis au centre de ce monde celte, obstiné à vivre et qui garde le souvenir légendaire d’une grandeur dont son imagination n’a pas fait tous les frais. Que pourrai-je en retrouver ici ? C’est ce que je me demande déjà dans ce paysage qui l’évoque si bien, à quelques pas de cette ville qui le rappelle si mal.

Toutes les plages se ressemblent, le long de cette frange anglaise et balnéaire. Elles ne donnent guère mieux l’idée d’une petite ville galloise que Paramé ne représenterait chez nous une ville bretonne et Houlgate ou Cabourg un village normand. Vous ne trouverez jamais en de tels lieux cette empreinte des mœurs, des goûts, des idées, des habitudes, que le temps a patiemment marquée sur le décor des choses. J’ai cherché, dans les vieux comtés du « Gwynedd » — Carnarvon et Merioneth — de médiocres cités sans gloire dont la destinée se fût écoulée paisible au train ordinaire des travaux et des jours. Il est bon qu’elles ne soient ni des sanctuaires d’histoire, façonnés par les siècles et environnés de prestige, ni des centres d’industrie, ouverts à l’activité des races et aux transformations de la vie, ni des carrefours de tourisme, enrichis à l’exploitation commerciale de la beauté. J’ai vu ainsi Dolgelley, Portmadoc, Pwlheli. Les guides ne les signalent que pour les excursions du voisinage, et leur intérêt semble nul au passant qui oriente sa course vers les attractions de la nature ou de l’art. Mais qu’elles sont précieuses, dans la paix de leur roture, au voyageur moins curieux de spectacles que d’humanité ! Elles lui révèlent, s’il flâne dans les rues au hasard des heures, se mêle aux passans affairés ou ralentit le pas aux devantures des boutiques, toute la vie du présent façonné au pli des habitudes héréditaires, toute la destinée des