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château, ce n’est pas une forteresse, ce n’est pas une citadelle : Carnarvon, c’est l’idée de la conquête, matérialisée dans la pierre, c’est la volonté du vainqueur qui a pris corps et s’est appesantie sur le sol. La masse colossale se dresse avec une raideur d’anathème pour imposer à la nation vaincue l’immobilité éternelle et l’éternel silence. La dureté de ses hautes murailles tombe à pic, comme un arrêt du destin ; elles sont nues, sans fenêtres, pareilles à des vouloirs fermés. Contre sa domination, tout effort et tout espoir se brisent : aux plaintes de la servitude, aux grondemens de la révolte, elle n’oppose que des pans inaccessibles et le geste droit de ses tours. Elle semble moins édifiée par des ouvriers humains que par quelque génie de légende, aux temps héroïques où les Kymrys attendaient le retour d’Arthur. Ou bien encore on pourrait croire, sans l’architecture qui règle cette majesté, à quelque construction des Titans préhistoriques, dans un âge de pierre. Mais entrons : la forteresse s’humanise. Toute sa vie est tournée en dedans, vers l’enceinte où s’abritait le vainqueur. Des hommes ont vécu là, de la vie féodale ; et nous pouvons lire le détail de leur existence dans les ruines qui subsistent et les indications jalonnées sur le sol. Nous les voyons campés comme en pays ennemi, en éveil contre les surprises, approvisionnés pour les longs sièges. Et dans une des tours, entre quatre murs épais, voici la chambre obscure où naquit le fils aîné d’Edouard. Le roi l’éleva, dit-on, dans ses bras, et paraissant à une fenêtre du château, le présenta au peuple assemblé : « Il est né Gallois ; ce sera votre prince. » C’est ainsi qu’Edouard de Carnarvon fut créé prince de Galles, et inaugura la tradition qui fait porter ce titre au fils aîné des souverains d’Angleterre. La couronne du Gwynedd avait changé de maison, — et de patrie.


III

Si trop de causes de faiblesse avaient rendu la nation galloise impuissante à se maintenir, elle avait en elle trop de force pour ne pas résister. Merveilleuse contradiction, qui fait le mystère et l’attrait de la race celtique partout où la conduisit la destinée de l’histoire, en Écosse, au pays de Galles, en Irlande, comme dans la Bretagne française ; contradiction tragique dont la psychologie seule pourrait peut-être nous expliquer l’énigme. L’esprit contemplatif