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du Celte reçoit en lui tous les reflets du dehors, toutes les images et crée ainsi un monde idéal qui lui fait aisément oublier le monde réel. Le rêve incline à l’art au détriment de l’action ; et ainsi le don poétique de cette race l’élève, en quelque sorte, au-dessus de la vie dont elle abandonne à de plus positifs l’organisation et la jouissance. Désintéressée, idéaliste et généreuse, elle est d’autant moins apte à s’organiser et à se gouverner. Cette difficulté est aggravée encore par un autre trait de son caractère. Tous les historiens qui, à n’importe quelle époque, observèrent la race celtique, ont remarqué en elle une sorte d’emportement et d’indépendance qui la maintiennent dans un état politique inférieur. Les Anglais appellent encore aujourd’hui les Gallois red hot Welsh ce qui veut dire à peu près « tête chaude » ou « cerveau brûlé. » L’histoire des Celtes est pleine de rivalités, de guerres civiles qui toujours paralysèrent cette admirable race et suffirent à l’empêcher d’être invincible. César les exploita pour la conquête de la Gaule ; les Saxons s’en servirent pour la conquête de la Bretagne, et, plus tard, au Pays de Galles, ce furent les dissensions du Nord et du Sud qui favorisèrent les premières conquêtes. La psychologie du Kymry nous explique donc qu’il ait été vaincu. Mais elle nous explique aussi que le vainqueur n’ait pu l’anéantir. Le fond du caractère gallois est celui de la race bretonne, partout où elle se rencontre ; la ténacité. Le Breton est à la fois original et irréductible. On ne peut ni l’assimiler, ni le détruire. Il a, comme certains êtres résistans, obligés de vivre dans des milieux hostiles, une merveilleuse faculté de suspendre sa vie et de l’endormir, pour la dérober aux transformations et à la mort.

Imaginatif, individualiste et obstiné, le Breton cambrien qui durant l’époque héroïque de son histoire occupait l’île presque entière, n’aurait-il pas perdu quelque chose de sa nature originale si dans les grasses plaines de l’Angleterre, mêlé à d’autres peuples et englobé dans leur organisation, il avait vécu des siècles de vie active, confortable et bien réglée ? L’histoire sauvegarda merveilleusement son originalité ; et quand les envahisseurs anglo-saxons le chassèrent devant eux, la nature lui ouvrit l’hospitalité d’une retraite qui semblait faite à souhait pour lui. Comme la pointe de Cornouailles, les highlands d’Ecosse, ou la presqu’île armoricaine, l’avancée de Galles offrait au rêve breton un propice asile.