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son fauteuil, se prend la tête dans ses mains. Apparemment, il a beaucoup de chagrin. Il est probable qu’un flot tumultueux d’idées, de sentimens, de résolutions se presse dans son âme ulcérée. Nous en jugeons ainsi, parce que de ses lèvres tremblantes s’échappe un murmure de paroles indistinctes. Même nous percevons un mot qui revient à plusieurs reprises : « Les enfans ! » C’est tout. M. Bergeret se remet à marcher à travers son cabinet. Et, saisissant le mannequin d’osier sur lequel Mme Bergeret a coutume de draper ses robes, il le jette par la fenêtre. Durant ces deux tableaux, M. Bergeret, n’a littéralement pas prononcé trois paroles. Y a-t-il ici pour l’acteur chargé de figurer le personnage l’occasion d’une mimique expressive ? Cela est possible. En tout cas, le mérite est mince pour l’auteur qui s’est réduit à écrire un rôle muet. Le moindre grain de psychologie eût mieux fait notre affaire. Aussi bien ce sera le diable maintenant pour faire sortir M. Bergeret de ce silence où il va s’obstiner comme un maniaque. Sa femme peut prier, sa bonne crier, ses fournisseurs réclamer, M. Bergeret n’entend rien. Du bavardage il est tombé dans le mutisme. Que d’ailleurs il reste dans son trou de province ou qu’il vienne à Paris, qu’il se sépare de Mme Bergeret née Pouilly, qu’il emmène avec lui sa fille, nous n’attachons aucune espèce de prix à ces contingences, et on n’est pas arrivé un seul instant à nous faire prendre intérêt à ce vulgaire drame de famille.

L’interprétation du Mannequin d’Osier est médiocre. Notons seulement que le jeu de M. Guitry est admirable pour achever de rendre la pièce inintelligible. Nous nous étions fait jusqu’ici de M. Bergeret une image falote qui nous semblait en harmonie avec tout ce que nous savons du personnage. Il appartenait à M. Guitry de nous présenter un Bergeret important, imposant, suffisant, et solidement campé dans la vie.


Un scandale qui, il y a quelques années a mis en émoi le monde de la presse, a suggéré à M. Abel Hermant une idée de comédie qui n’est pas sans valeur. Il ne manque pas à Paris de gens pour mener un train tout à fait en disproportion avec leurs ressources avouables et occuper une situation qui n’a aucun rapport ni avec leur crédit réel ni surtout avec l’estime qu’on en fait. Quel est donc le problème de ces existences factices, qui, après s’être, pendant un temps plus ou moins long, maintenues en équilibre, aboutissent à l’inévitable culbute ? Quel est le type moderne de « l’esbroufeur ? » Y a-t-il entre lui et le vulgaire escroc quelque différence notable ? Par quels