Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop d’éclat, car une disgrâce en fut la suite. Quelles furent les véritables causes de cette disgrâce ? Il ne faudrait pas trop s’en rapporter à ce que raconte Mme de Caylus elle-même. A l’en croire, elle aurait eu l’imprudence, malgré les conseils de Mme de Maintenon, de se lier d’une façon trop intime avec la Duchesse de Bourbon, cette fille de Mme de Montespan qui avait hérité sinon tout à fait de la beauté triomphante de sa mère, bien qu’elle eût une belle taille, un beau teint et de l’agrément, du moins de son esprit et de sa méchanceté. Mme de Caylus eut l’imprudence, suivant ses propres expressions, « de se livrer entièrement à elle. » En particulier, pendant le siège de Namur, alors que le Roi et toutes les princesses, ainsi que Mme de Maintenon, étaient à l’armée, et Mme de Caylus reléguée au contraire à Saint-Germain, sous la férule de Mme de Montchevreuil, elle aurait eu l’imprudence, un jour qu’elle faisait visite à la Duchesse de Bourbon retenue à Versailles par une grossesse, de se livrer à quelques plaisanteries sur Mme de Montchevreuil et sa dévotion outrée, plaisanteries auxquelles, il faut en convenir, celle-ci prêtait fort si elle répondait à ce portrait de Saint-Simon : « Une longue créature sèche et livide à boire dans une ornière, jaune comme un coing, avec un rire niais qui montrait de longues dents de cheval, dévote, empesée, embéguinée, qui ne parloit que par monosyllabes, avec un air dur, sec, sévère, qui se radoucissoit par un effort de charité ; toujours austère et sentencieuse, et, si elle eût eu quelque esprit, tout à fait propre à épouser Rhadamante[1]. » Fort imprudemment aussi la Duchesse de Bourbon répéta les propos de Mme de Caylus dans une lettre qui passa sous les yeux du Roi. « On regarda ces plaisanteries qui m’avoient paru fort innocentes comme très criminelles, continue Mme de Caylus. On y trouva de l’impiété, et elles disposèrent les esprits à recevoir les impressions désavantageuses qui me firent enfin quitter la Cour pour quelque temps. Ainsi Mme de Maintenon avoit eu raison de m’avertir qu’il n’y avoit rien de bon à gagner avec ces gens-là[2]. »

L’explication est ingénieuse et habilement présentée, mais elle se peut difficilement accepter, car le siège de Namur est de 1692, et ce fut en 1696 seulement que l’appartement dont Mme de Caylus avait la jouissance à Versailles lui fut retiré. Dangeau est

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. VI. p. 587.
  2. Souvenirs, p. 170.