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formel sur ce point. Il y eut donc autre chose. Il y eut, sachons en convenir, l’éclat poussé trop loin d’une liaison avec Villeroy.

Lorsqu’on pénètre dans l’intimité d’un temps, on peut arriver à porter sur les personnages qui y ont fait figure un jugement quelque peu différent de celui qu’a porté l’histoire. L’histoire a été sévère pour Villeroy. Elle voit en lui le type du courtisan qui fait usage de sa faveur pour se pousser aux emplois les plus élevés, et qui se montre incapable de les remplir. Au point de vue militaire, sa ridicule aventure de Crémone, où il se laissa prendre, et sa déroute à Ramillies l’ont fait classer parmi les généraux les plus incapables de cette fin du règne. Au point de vue moral, sa courtisanerie envers Louis XIV, et, plus tard envers Louis XV, n’est pas pour le réhabiliter. Mais, quand on y regarde d’un peu plus près, on comprend qu’il ait pu tenir une grande et longue place dans la vie d’une femme comme Mme de Caylus, bien qu’il eût vingt-sept ans de plus qu’elle, étant né en 1744. D’abord, il était très beau. Dans sa jeunesse, on l’appelait le Charmant, et, pour être de nature très noble et d’esprit très fin, certaines femmes n’en demeurent pas moins sensibles à ce genre de séduction. Mme de La Fayette, qui connaissait bien son sexe, pour expliquer le sentiment qui entraîne la princesse de Clèves vers le Duc de Nemours, répète à plusieurs reprises que « ce prince était admirablement bien fait, » et Mme de Sévigné, toujours mordante, raille l’impression que les belles jambes du héros produisent sur la chaste héroïne. De plus, Villeroy jouissait d’une réputation de bravoure très méritée. Il avait servi sous les plus grands capitaines, Condé, Turenne, Luxembourg ; il s’était distingué au passage du Rhin, au siège de Besançon où il avait été blessé, à Steinkerque où il avait joué de l’épée comme un simple officier, à Nerwinde où il avait conduit une charge brillante ; et, à l’époque où il entra en relations avec Mme de Caylus, il n’avait pas encore subi les mésaventures militaires qui devaient montrer à nu son incapacité. Il était homme à bonnes fortunes, ayant été du dernier bien avec les femmes les plus en vue du temps, la Comtesse de Soissons, la duchesse de Ventadour. Dans tout cela il y avait de quoi attirer sur lui l’attention d’une toute jeune femme qui débutait à la Cour. Saint-Simon, qui le déteste, dit que « c’étoit un homme fait exprès pour présider à un bal, pour être le juge d’un carrousel, et, s’il avoit eu de la voix, pour chanter à l’Opéra les rôles de rois et de héros,