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elle n’en bougea, sauf quelques courses dans le village de Saint-Cyr, pour aller voir des pauvres. Elle y menait la vie la plus simple. Elle avait changé jusqu’à son régime personnel, ne voulait pas introduire à Saint-Cyr « le délice du chocolat, » et donné la plupart de ses hardes à Mme de Caylus. Il est tout à fait faux, comme le dit Saint-Simon, qu’elle eût conservé au dehors, « un maître d’hôtel, un valet de chambre, des gens pour l’office et la cuisine, un carrosse, un attelage de sept ou huit chevaux et un ou deux de selle, » qu’elle aurait nourris, bêtes et gens, aux dépens de Saint-Cyr. Elle avait au contraire vendu son carrosse et renvoyé ses gens avec une précipitation qui ne laissa pas d’être blâmée, car quelques-uns se prétendirent réduits à la mendicité. Elle ne conserva qu’un cuisinier, ancien marmiton à Versailles, un maître d’hôtel et deux laquais qui devaient surtout lui servir de messagers, pour sa correspondance avec Mme de Caylus. Cette correspondance va devenir l’unique intérêt de sa vie. C’est par les lettres de Mme de Caylus qu’elle saura ce qui se passe au dehors, et elle répondra à ces lettres par des journaux écrits presque au jour le jour, et que porteront à Mme de Caylus tantôt Etienne et Launay qu’elle avait gardés à son service, tantôt le boulanger Petin. Mme de Caylus lui répondait par le même moyen, car toutes deux se méfiaient, non sans avoir pour cela de bonnes raisons, de l’ordinaire. Il ne nous reste plus qu’à feuilleter leur correspondance, où nous allons voir se refléter quelques-uns des principaux événemens qui marquèrent les premières années de la Régence, et où nous surprendrons le jugement, toujours discret et sagace, de Mme de Maintenon sur ces événemens.

La première lettre adressée par Mme de Maintenon à Mme de Caylus est datée du 11 septembre, c’est-à-dire onze jours après la mort du Roi. Durant ce mois de septembre, elle lui écrit jusqu’à cinq fois. Pas une seule fois elle ne prononce le nom de Louis XIV ; à peine fait-elle allusion à cette mort récente et au chagrin qu’elle aurait dû, ce semble, ressentir de la perte de celui auprès duquel elle avait passé tant d’années. Ce n’est qu’à la fin d’octobre qu’ayant reçu, pour la première fois, la visite de Villeroy, elle s’attendrit à ce souvenir. « Je vis hier M. le maréchal de Villeroy, plus pathétique que je ne l’ai jamais vu. Il pleura beaucoup avec moi, et je pleurai si bien que je ne suis pas remise de la nuit qu’il m’a fait passer. » L’année suivante, elle écrit encore :