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ne paye, et dans peu, elle sera réduite à vivre « du lait de sa vache et des œufs de ses poules. » Ces anxiétés et ces privations lui sont d’autant plus sensibles qu’elle n’est pas seule à les ressentir, car elle voudrait faire une vie et un intérieur agréables à ses deux enfans qu’elle héberge : son philosophe et son Brindi.

Le philosophe était son fils aîné, celui qui devait devenir plus tard membre de l’Académie des Inscriptions, et qui fut le premier des antiquaires et des collectionneurs hommes du monde. Brindi, auquel Mme de Maintenon avait donné le surnom d’un petit paysan d’Avon, était le second. Ses relations avec ses deux fils et les soucis qu’ils lui causent tiennent une grande place dans la correspondance de Mme de Caylus. Dans cette seconde phase de sa vie c’est l’amour maternel qui l’emporte chez elle sur tout autre sentiment. « Que je suis mère, ma chère tante ! c’est-à-dire que je suis folle ! que je suis déraisonnable et que je serai malheureuse ! » Et Mme de Maintenon de lui répondre : « Vous savez que j’ai le malheur de connaître tous les sentimens des mères. » Ce qui agitait autrefois Mme de Caylus c’était d’obtenir pour son fils un régiment, et elle sollicitait Louis XIV par l’intermédiaire de Desmaretz. Ce qui l’agite aujourd’hui, c’est de lui faire vendre ce régiment au meilleur compte, car il a pris le dégoût du métier militaire. Elle-même y trouvera son avantage, car elle aura « 40 000 francs de dettes de moins et 20 000 écus de plus. » Le duc de Noailles s’est chargé de l’affaire. Il y trouve d’abord certaines difficultés, et Mme de Caylus, croyant la vente manquée, termine pieusement une lettre par ces deux vers :


Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous mette en repos.


La chose finit cependant par se faire, et son philosophe, son mélancolique vient s’établir avec elle dans le petit hôtel de la rue de Vaugirard. Elle se loue beaucoup de lui. « Toutes les vertus morales sont dans ce petit garçon, écrit-elle à Mme de Maintenon, à la réserve de la piété qu’il faut espérer toujours ; en attendant, c’est une compagnie fort agréable que j’ai avec moi. » Et Mme de Maintenon lui répond : « Un très honnête homme ne me paroit pas loin de Dieu ; il n’auroit qu’à le prendre pour l’objet et la fin de tout ce qu’il fait, car il n’est point nécessaire d’être toujours à l’église. » Quant à Brindi, qu’elle appelle aussi