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visite une première fois la région de Mycènes avec le géographe Ritter. Six mois après, il retourne dans le Péloponèse, ayant pour compagnons le comte Baudissin, connu par ses traductions de Molière et de Shakspeare, et un architecte mexicain. Il parcourt aussi, avec ses élèves, les petites Cyclades, voisines d’Athènes, Céos, Andros, Délos. Enfin, il s’adjoint à un architecte allemand, chargé de préparer les fouilles de Delphes. On peut suivre, dans ses lettres à son père, le détail de ses promenades à travers le continent grec et les îles, et se rendre compte du genre d’intérêt qu’il y trouve. Tout en notant les aspects pittoresques qu’il rencontre, que ce soit le pittoresque d’un paysage ou celui de la vie et des mœurs, c’est surtout la Grèce d’autrefois qu’il cherche à ressusciter devant ses yeux. Il se passionne pour cette idée, et son imagination finit par s’y absorber tout entière. Il est heureux de chaque découverte qu’il fait, de celles qu’il voit faire autour de lui, de celles qu’il pressent et dont il jouit par avance.

Tout en lisant avec ses élèves Homère, Hérodote et Thucydide, il s’exerçait pour son compte à traduire des fragmens des poètes grecs, en employant leurs formes métriques. Il commença, au retour de sa première excursion à Mycènes, une Électre, qu’il reprit plusieurs fois, et qu’il ne termina jamais. Au mois de juin 1838, il fut rejoint par son ami d’enfance Emmanuel Geibel, qui entra comme précepteur dans la maison de l’ambassadeur de Russie. Ils s’associèrent pour des exercices poétiques, traductions ou imitations, qu’on lisait devant la famille Brandis, ou même devant le roi et la reine[1]. Ils firent ensemble cette promenade dans les grandes Cyclades qu’ils ont célébrée l’un et l’autre en vers, et que Curtius a racontée deux fois, d’abord dans ses lettres, ensuite dans la notice biographique qu’il a consacrée à son ami. C’est cette promenade aussi qui lui a donné l’idée de son opuscule sur l’histoire ancienne et moderne de l’île de Naxos. « Quel spectacle sublime, dit-il au commencement de cet opuscule, qu’un voyage à travers la mer Egée ! Aussi loin que l’œil peut atteindre, les lignes aiguës et grandioses des montagnes surgissent du sein des eaux ; elles se rapprochent et s’éloignent, formant des groupes variés. Quelle que soit la hauteur du soleil, la mer et les côtes se revêtent de couleurs à la fois étincelantes et douces. Des bateaux et des barques vont paisiblement

  1. Ils en publièrent un choix : Klassische Studien von Emanuel Geibel und Ernst Curtius, Bonn, 1840.