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On sait à peine devant quels dieux ces héros pliaient les genoux et à quoi ils croyaient.

« Le véritable hellénisme n’est pas encore né, du moins dans l’art plastique. L’art est asservi au luxe, comme en Asie ; il vise à l’éclat extérieur. Le bouclier d’Achille est une exception, qui présage un développement futur. La civilisation qui se reflète dans Homère est celle des peuples maritimes de l’Asie Mineure, échelonnés depuis la merde Chypre jusqu’à la Propontide. Cette civilisation, au temps d’Homère, avait déjà passé le moment de son apogée. Ce n’est qu’avec les tribus helléniques descendues du Pinde qu’une nouvelle vie s’annonce et que commence l’histoire grecque proprement dite. Cet Homère est un thème éternellement inépuisable. On ne l’aura jamais assez approfondi ; nul esprit cultivé ne peut se soustraire à son influence, et, en fin de compte, chacun a son Homère, comme chacun a sa Bible. »


V

Pour Ernest Curtius, l’imagination était une auxiliaire indispensable de la science historique ; il aurait volontiers dit avec Michelet que l’histoire est une résurrection. En même temps qu’il replaçait devant ses yeux et devant les yeux de ses lecteurs le riche développement de la civilisation grecque, il cherchait à reconnaître et à fixer avec précision les lieux qui en avaient été le théâtre. Ses études topographiques sur Athènes et ses Inscriptions de Delphes avaient été le résultat de son premier voyage. Au printemps de 1862, il revint à Athènes avec un groupe d’archéologues et d’architectes, et, au retour, il publia sept cartes nouvelles sur l’ancienne configuration de la ville. En 1871, il parcourut les régions maritimes de l’Asie Mineure, et il visita la Troade, « cet éternel champ de bataille, aujourd’hui le théâtre d’une lutte paisible entre deux monticules, qui prétendent chacun à l’honneur d’avoir porté l’antique citadelle de Priam[1]. » Il monta, « l’âme pleine de pressentimens, » sur la colline de Bounarbachi, au moment même où Schliemann, à deux lieues de là, commençait à retourner le sol d’où il devait retirer les restes de plusieurs cités superposées. Enfin, en 1874, Curtius commença ses fouilles d’Olympie, qui lui firent faire trois voyages encore,

  1. Ein Ausflug nach Kleinasien : Alterthum und Gegenwart, 2e volume.