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et de Roze, le procureur du département[1], avaient fait germer une illusion folle dans les esprits : le Roi resta sur pied jusqu’au matin, la Reine et Madame Elisabeth veillaient de leur côté. On tint, dans ces hauts et vastes salons dont les fenêtres prennent vue sur les opulens ombrages du cours d’Ormesson, des conciliabules fiévreux. Allait-on tenter de séjourner à Châlons, « de s’y entourer de forces défensives » et d’y rallier, comme en un camp retranché, tous les royalistes de France ? Le commandant général de la gendarmerie escomptait l’arrivée de la garde nationale de Reims : si cette troupe, solidement armée et équipée, partageait les sentimens des Châlonnais, « on pouvait se flatter de la possibilité de garder le Roi, parce qu’on se renforcerait incessamment de tout ce qu’il y avait de bons Français dans la banlieue[2]. »

On étudia même le projet insensé de rétrograder jusqu’à Montmédy. Les gardes nationaux de Châlons offraient de composer au Roi une escorte d’honneur et ne demandaient, pour se transformer en un corps de cavalerie, que l’autorisation d’employer les chevaux des gardes du corps, restés en dépôt à Châlons depuis le licenciement. D’autres suppliaient le Roi de quitter immédiatement la ville, et de rejoindre à franc-étrier l’armée de Bouillé. Dans la chambre où dormait le Dauphin et qui est la dernière à l’angle sud de la façade donnant sur le jardin, s’ouvrait dans la cloison un escalier secret par lequel on pourrait, sans être vu des sentinelles, sortir de l’Intendance et se perdre sous les arbres du Cours[3].

Mais Louis XVI se refusait à fuir seul : il préférait gagner du temps, et il fut convenu que, pour laisser à « ses bons Rémois, » dont il attendait merveilles, le temps d’arriver, il séjournerait le plus longtemps possible à Châlons.

Il se coucha au jour : vers neuf heures et demie, il était éveillé par l’annonce de l’arrivée des « bons Rémois. » C’était un ramassis de « mauvais sujets » recrutés dans les usines, ayant

  1. Chorez faillit être écharpé, le jour même, en raison de ses sentimens royalistes. Il fut obligé de fuir et de se cacher. Roze périt sur l’échafaud, à Paris en 1794.
  2. Précis historique du comte de Valori.
  3. Cet escalier qui existe encore, permet de reconnaître la chambre qu’occupa le Dauphin. Mme de Tourzel dit simplement : « Ils lui montrèrent un escalier dérobé qui était dans la chambre où couchait Mgr le Dauphin et qu’il était impossible de découvrir, quand on ne le connaissait pas. »