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en profitait : elle venait d’enlever, en passant à Vauciennes, le curé de l’endroit, qu’on avait lié sur le cheval d’un gendarme et qu’on se promettait « d’étriper sous les yeux de Capet et de sa nichée : » les Sparnassiens qui suivirent la berline jusqu’à la croisée du chemin de Mardeuil gardèrent, comme les gens de Chouilly, la conviction que les captifs « n’arriveraient pas jusqu’à Paris. »


Paris, cependant, depuis deux jours, s’étonnait lui-même de sa sagesse. Sans crainte, dès les premières heures, sur les effets de l’événement, rassuré à l’idée que la retraite du Roi, qu’on aurait pu croire perpétrée comme une tragédie, n’était qu’une escapade sans portée et qu’aucune calamité publique n’en allait résulter, le peuple en prit promptement son parti. Avec cette mobilité dont il ne se dément jamais, il passa de la panique à la colère et de la colère aux goguenardises. Durant l’après-midi du 21, on vit des groupes gouailleurs, parcourant les rues, arrachant aux panonceaux des notaires les emblèmes royaux, grattant les fleurs de lys aux devantures des coiffeurs, déchirant les portraits du Roi et de la Reine à l’étalage des marchands d’estampes. Des plaisans forcèrent un chapelier, nommé Louis, à biffer de son enseigne son propre nom. On criait : « Il a été perdu un roi et une reine... Récompense honnête à qui ne les retrouvera pas. » Nul doute que la foule ne fût incitée à ces amusemens subversifs par des provocateurs avisés... L’idée révolutionnaire pénétra sous cette forme dans bien des esprits simples, réfractaires depuis deux ans aux théories politiques.

La malveillance s’amalgamait également aux bourdes traditionnelles qu’en semblables circonstances l’ineptie populaire absorbe si gloutonnement. On ne savait rien des détails de l’évasion, sinon ceci, qu’on se répétait comme certain : que le Roi était saoul et qu’on avait été obligé de le porter à quatre dans la berline. Il y avait aussi une lettre de la Reine qu’une lingère, la femme de. Flandre, avait surprise chez Mme de Rochechouart et communiquée au cabinet des recherches. Marie-Antoinette, s’adressant au Prince de Condé, s’exprimait ainsi : « Mon ami, ne faites aucune attention au décret lancé contre vous par l’assemblée de cochons. Nous apprendrons à faire remuer ces crapauds et ces grenouilles ; voici la façon dont notre gros partira... » Suivait l’exposé d’un projet de fuite, vers un