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à son serment ; derrière lui paraissent d’autres officiers, MM. de Grillon, La Fayette, de Rostaing, d’Elbecq : tous jurent fidélité à la nation, obéissance à l’Assemblée ; l’enthousiasme grandit ; les députés sont debout ; des gradins on voit, un par un, descendre ceux des législateurs qui occupent des emplois dans l’armée : Montesquiou, d’Aiguillon, de Menou, de Clermont d’Amboise, d’Arenberg, de Custine, de Praslin, de Tracy, de La Tour-Maubourg, et celui-ci, qui les domine tous de sa haute taille, jure, au nom de ses collègues, de garder la même fidélité. Charles de Lameth, qui, lui aussi, a l’honneur de commander un régiment, propose qu’une nouvelle formule de serment soit décrétée, que tous les militaires de l’Assemblée soient invités à le prêter, sous peine de déchéance ; sa harangue reflète l’inquiétude qu’en vain chacun s’efforce de dissimuler, l’angoisse du lendemain menaçant :

— Dans vingt-quatre heures, dit-il, le royaume peut être en feu : nous pouvons avoir l’ennemi sur les bras...

Et l’évocation de ce danger tacitement redouté fait courir sur toute l’Assemblée un frisson patriotique. Pendant plus d’une demi-heure, c’est une effusion de sentimens chevaleresques ; un échange de sermens, de congratulations, qui se termine par la présentation d’un projet de décret transformant en armée active et soldée les gardes nationales du royaume, jusqu’à ce que le danger de l’Etat n’exige plus des citoyens un service extraordinaire ; c’est une dépense quotidienne de trois cent mille livres ; cent dix millions par an... ; mais l’enthousiasme est à l’ordre du jour et les 11 articles du décret sont votés d’un bloc et sans discussion, ce qui permet néanmoins de ne pas avoir recours au Code pénal pour occuper l’Assemblée en attendant des nouvelles. A neuf heures du soir, rien encore ; à onze heures, rien toujours ; le président consulte ses collègues et suspend la séance pour une heure.

Les rues étaient illuminées[1]. La foule avait sa gaîté des dimanches : à l’Opéra, on avait fait salle comble avec Castor et Pollux ; le théâtre de la Nation avait donné Brutus et le Legs[2] ; bien des gens, — les plus hardis, — quittaient leurs quartiers, poussaient jusqu’aux barrières, ou venaient rôder autour de l’Assemblée pour recueillir des informations. La plupart restaient prudemment au seuil de leurs portes, dans l’appréhension

  1. Modeste Récit de ce qui s’est passé...
  2. La Feuille du jour.