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La lassitude, l’ennui, l’impatience, et plus encore le sentiment de son impuissance et de son inaction, désagrégeaient l’Assemblée. Dauchy avait remplacé au fauteuil Beauharnais exténué. Chabroud avait remplacé Dauchy ; à dix heures du soir, à bout de résistance, les législateurs obtenaient une nouvelle suspension de séance et se dispersaient sous les tentes des restaurans établis aux abords du Manège, chez Roy en, au café du Perron, au glacier des Feuillans, chez Pascal. Quelques députés seulement demeuraient, effondrés sur les banquettes, dans la salle vide, mal éclairée par quatre lustres[1], garnis de bougies semblables à des cierges, et qui faisaient, aux angles et sous les tribunes, de grandes ombres tragiques...

Tout à coup, un bruit de foule piétinante roule dans les couloirs de planches ; une rumeur monte, puis des cris : Le Roi est pris ! Le Roi est pris ! Par toutes les portes brusquement poussées, les députés rentrent, en grand émoi, dans la salle : on s’agite, on enjambe les gradins, on s’interpelle de la piste aux galeries publiques. Il est arrêté ! Le président Chabroud, en hâte, escalade sa tribune. Dans le groupe qui s’agite au pied de l’estrade, on aperçoit deux courriers, qui, poussés, bousculés, portés, émergent un instant, couverts de poussière, étourdis, hagards, déposent des papiers sur la table des secrétaires, et disparaissent aussitôt, entraînés par la cohue, tandis qu’on applaudit et qu’on acclame. Le silence, brusquement, se fait. Le président est debout : toutes les têtes immobiles, toutes les bouches béantes, tous les regards sont tournés vers lui.

— Je viens de recevoir, dit-il, un paquet contenant plusieurs pièces dont je vais donner lecture à l’Assemblée. Avant de commencer cette lecture, je supplie d’écouter dans le plus grand silence et je demande aux tribunes de ne donner aucun signe d’approbation ou d’improbation.

Déjà un des secrétaires s’est levé, un papier à la main et lit :

Lettre des officiers municipaux de Varennes : « Messieurs, Dans l’alarme où nous nous trouvons, nous autorisons M. Mangin, chirurgien à Varennes, à partir sur-le-champ pour prévenir l’Assemblée nationale que Sa Majesté est ici et pour la supplier de nous tracer la marche que nous devons tenir, ce 21 juin 1791. — Les officiers municipaux de Varennes. »

  1. Brette, Le local des assemblées parlementaires.