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mais modulé, j’allais dire modelé par des voix qui de la forme sonore font presque une forme plastique, tant elles lui donnent de relief et de perspective. Jamais soir de Pâques ne fut plus grave et plus doux, et, sortant de la chapelle où venaient de s’accomplir des rites simples et purs, devant la ville et la campagne qui s’étendaient sous nos yeux, nous pûmes nous croire déjà sur la colline où l’on adorera le Père en esprit et en vérité.

Jusqu’à la fin des fêtes grégoriennes, on ne lui rendit pas d’autres hommages. A la Valicella comme à Saint-Grégoire, à Sainte-Marie Majeure, au Latran ainsi qu’à Saint-Paul-hors-les-murs, messes, vêpres, saluts, il n’y eut d’office que dans le style grégorien. La musique à l’église ne fut que d’église, comme si les volontés du Pape étaient non seulement publiées, mais obéies.

Elles reçurent à Saint-Pierre la consécration la plus éclatante. L’effet d’une « fonction » pontificale grégorienne, sous les gigantesques voûtes, n’était pas d’avance assuré. En ces espaces infinis, mille ou douze cents voix chantant ensemble risquaient de s’entendre à peine, ou de se trop entendre. On en pouvait craindre, autant que la faiblesse, la violence ou la dureté. Le chant grégorien ne se prête pas, ou du moins ne se prête pas toujours et tout entier, à ce qu’on nomme, d’un mot trivial, mais expressif, une « exécution monstre. » Quelques mélodies, les plus simples, comportent et réclament peut-être ce genre d’interprétation. Les historiens de saint Grégoire nous ont transmis le souvenir d’unissons, que le nombre de voix, ou plutôt que les voix innombrables ont dû faire sublimes. C’est la Litania septiformis, qu’aux jours de la peste de 590, pénitente et suivant les pas de son pontife, Rome tout entière psalmodia. C’est le Regina cœli, chanté devant l’image, portée en procession, de la Vierge libérienne, avec une telle ferveur que, suivant la légende, les anges descendant du ciel y auraient répondu.

Mais, à côté de ses pièces faites pour le foule, il en est d’autres, comme les Introït, les Graduels, les Offertoires, qui veulent des interprètes exercés et choisis. Par une heureuse fortune, celles-ci mêmes n’ont rien perdu de leur beauté plus fragile. La multitude des voix n’a pas forcé leur délicatesse, et, dans l’énorme vaisseau, leur parfum léger ne s’est pas évanoui.

Fidèle le premier à l’esprit, et à l’esprit intégral, de ses propres commandemens, le Souverain Pontife avait permis démêler à la messe grégorienne un petit nombre de pièces polyphoniques : les unes prises dans l’œuvre des anciens maîtres, les Gabrielli et les