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moment d’accord avec son gouvernement. Sans doute il en serait autrement s’il était vrai qu’il y eût dans le voyage du Président de la République une intention offensante pour le Souverain Pontife. Beaucoup de Français se demanderaient alors ce qu’a fait le Pape pour mériter de notre part une semblable attitude, et ils auraient à exprimer non seulement des réserves, mais des protestations légitimes. Nous n’avons nullement à nous plaindre, et cela depuis longtemps, de le politique du Saint-Siège à l’égard de la France, ni même de son gouvernement. Dès lors, comment admettre que M. le Président de la République se soit proposé, en allant à Rome, d’ajouter quelque chose aux tristesses du Saint-Père ? Il n’a jamais eu l’intention qu’on lui prête, et nous sommes convaincus que, si son voyage devait produire sur l’esprit de Pie X la pénible impression qui cause tant de joie à nos radicaux et à nos socialistes, il serait le premier à le regretter.

La vérité sur cette affaire est bien connue. Ce n’est pas M. le Président de la République qui s’est refusé à faire une visite au Pape, mais bien celui-ci qui a fait entendre qu’il ne pourrait pas s’y prêter. S’il y avait là quelque chose de personnel au gouvernement de la République et à son représentant officiel, nos radicaux socialistes pourraient pour la première fois y relever un grief contre le Pape. Mais il n’en est rien. Le Pape et le Président sont dominés l’un et l’autre par une situation qu’ils n’ont point faite et dont ils subissent les conséquences. Les deux prédécesseurs de Pie X ont établi une règle à laquelle il croit devoir rester fidèle, et qui consiste à ne pas recevoir au Vatican les chefs d’État catholiques venus à Rome comme hôtes du roi d’Italie. Le Pape estime que, s’il accueillait un chef d’État catholique venant du Quirinal, il paraîtrait reconnaître comme légitime l’établissement de la maison de Savoie à Rome, et c’est un fait contre lequel il ne cesse pas de protester. Nous n’avons, quant à nous, ni à nous associer à cette protestation, ni à la combattre. Nous acceptons les faits accomplis depuis trente ans. Personne en France ne rêve des restaurations auxquelles on a d’ailleurs cessé de croire. Cela étant, il y a quelque chose d’un peu puéril dans la satisfaction bruyante que manifeste chez nous la presse radicale-socialiste au sujet de la visite que M. Loubet n’a pas faite à Pie X. M. Loubet n’a pas exprimé le désir d’être reçu par lui parce qu’il savait fort bien qu’il ne pouvait pas l’être et ne le serait pas. Nos radicaux se trompent d’ailleurs grandement lorsqu’ils disent que le gouvernement et le peuple italiens auraient vu dans une visite du Président au Saint-Père une démarche désobligeante et même injurieuse pour eux. Pourquoi en serait-il