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PREMIER CONFLIT AVEC LA PRUSSE
LE LUXEMBOURG
1867


I

Le marquis de Moustier était beau, d’une courtoisie élégante et froide, qui, aux moindres heurts, tournait facilement à l’âpreté hautaine. Instruit, capable de flexibilité, il connaissait bien les affaires de l’Europe : notamment, ayant séjourné à Berlin plusieurs années, celles d’Allemagne, et, venant de Constantinople, celles d’Orient. Sa rédaction n’avait pas la pondération logique et la correction un peu pompeuse de Drouyn de Lhuys ; elle courait davantage, sans dessin et sans couleur, tant soit peu diffuse, non cependant au point d’ôter à la pensée sa clarté, et quelquefois, son mordant. Il apportait dans la négociation un optimisme inlassable : son oreille ne percevait pas le non, pourvu qu’il ne fût pas brutal ; dès que le refus était enguirlandé, il convertissait les complimens en concessions, revenait à la charge, et, après avoir paru vous écouter et être convaincu par vos objections, recommençait comme si vous n’aviez rien dit, tel qu’un somnambule qui suit sa propre illusion sans apercevoir les objets extérieurs. Il avait été fort actif, mais il ne se montra pas tel, si ce n’est par soubresauts, au quai d’Orsay. Il était ailleurs beaucoup plus que dans son cabinet, avec cela difficilement abordable, inexact à ses rendez-vous, et ne se retrouvant que si la circonstance demandait une action immédiate.