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Elle était inquiète surtout de ce qu’il n’aimait plus le vin et ne fumait que deux cigares. Peu à peu, cependant, il reprit quelques forces, commença à se promener deux heures par jour. « Si seulement mon cher Bismarck pouvait revenir au cigare et au vin ! » avait dit la comtesse. Il y revint, et même se distingua à table, fit d’une traite trois heures de promenade, retrouva le sommeil, et se remit par intervalles à s’occuper d’affaires.

Il dictait alors à sa femme. De ces dictées, conservées par Keudell, je n’en trouve qu’une se rapportant à la France : « La précipitation du retour des troupes françaises du Mexique n’est pas sans importance pour nous, en ce qui concerne le règlement de nos rapports ; je voudrais qu’on attirât l’attention de Sa Majesté sur ce point[1]. » Sa pensée s’attache surtout au développement des affaires d’Allemagne et à la préparation de la future Constitution fédérale. Il lit attentivement son officieuse Gazette de l’Allemagne du Nord, et il multiplie les objurgations à son rédacteur en chef Brass. Quelques-unes de ces notes complètent l’esquisse morale de son caractère, et montrent quelle vigueur claire il conservait même dans la prostration physique : « Les correspondances venues des nouvelles provinces continuent à n’être pas de bon goût. Elles avouent beaucoup trop que le mécontentement règne contre nous. C’est vrai, sans doute, mais ce n’est pas à nous de le publier à son de trompe. Nous devons traiter ces symptômes de crétinisme particulier à quelques hobereaux. Ce que les rapports officiels en disent doit rester dans les archives et ne pas être confié à Brass. Qu’il n’écrive pas d’article chauvin sur le Luxembourg (26 octobre). — Que Brass évite les rodomontades théoriques comme celle contre le ministre badois Freydorf, qu’il ne fourre pas toujours sous le nez des petits États que nous voulons amadouer son poing de grande puissance. Il faut adresser des flatteries aux petits dont nous avons besoin, et à leurs ministres, plutôt que d’amener des disputes au moyen de théories constitutionnelles tirées par les cheveux. Plus nous agirons fortiter in re, plus nous pourrons écrire suaviter in modo. Même, pour nos affaires intérieures, il est absolument nuisible d’exposer des théories sans fard et des théories constitutionnelles. — Toute vérité n’est pas bonne à dire. Que Brass lise cette sage maxime de Hamlet où il recommande « de croire,

  1. Je suis, dans ces citations, la traduction excellente du professeur Lang.