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un territoire dont il n’était pas propriétaire. Mais il fallait suivre un ordre de conduite inverse de celui indiqué par Bismarck. Il fallait d’abord vider la difficulté de l’évacuation, prendre Bismarck au mot et lui dire : « Vous prétendez que vous avez été mis là par l’Europe et que vous êtes prêt à vous retirer si elle en exprime le désir. Eh bien ! convoquons l’Europe : demandons-lui, d’accord avec la Hollande, de vous autoriser à évacuer une forteresse où votre présence ne s’explique plus, et n’est qu’une menace contre moi. » Les Prussiens une fois partis, on se serait retourné vers le roi de Hollande qui, n’étant plus sous la menace de la Prusse, se serait montré accommodant et aurait accordé la cession territoriale. Cette marche plus longue eût été plus sûre : on n’eût pas été à la merci de Bismarck qui, s’il avait été de mauvaise foi, n’aurait pas eu le moyen de faire avorter sous main le projet qu’il promettait de favoriser. Mais on voulait un coup de théâtre, une compensation bruyante fournie par la Prusse elle-même, comme rançon de sa grandeur nouvelle.

Göltz donnait des encouragemens ; Benedetti, radouci par les prévenances de Bismarck, ne doutait pas de la réussite. « il est à supposer, écrivait-il, que le souverain et le ministre, en face de l’irritation qui se manifeste en Allemagne, cherchent à établir qu’ils n’ont rien encouragé et à laisser croire qu’ils ont été surpris. La chose faite, ils en témoigneront du mécontentement, tout en déclarant qu’elle ne saurait justifier un conflit entre la France et l’Allemagne. Ce qui est essentiel et urgent, c’est de déterminer le roi des Pays-Bas à signer l’acte de cession. Ceci fait, il ne nous restera plus à surmonter que des obstacles faciles à vaincre. »


VII

Le succès était au prix d’une exceptionnelle célérité et d’un impénétrable mystère. Il fallait enlever l’affaire par un coup de main à La Haye, afin qu’à l’ouverture du Corps législatif de France et du Reichstag allemand il y eût un fait accompli. Mais Moustier hésita, lambina, manqua de résolution et d’activité. A la fin de février, il se décida à cesser les longs pourparlers et à mettre les fers au feu. Le roi de Hollande lui facilita l’entrée en matière. Il chargea son ambassadeur de s’informer auprès de Moustier de l’attitude de la France dans le cas où la Hollande