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qu’à moins d’un revirement, c’en sera fait d’ici très peu d’années de la prééminence de Marseille en Méditerranée.

Ces progrès du grand port italien, les Génois comptent d’ailleurs bien les voir s’accentuer dans l’avenir. Et l’on est tenté de partager leur assurance en constatant le développement et la prospérité de la ville elle-même ; — c’est, je crois, avec Milan, la seule ville italienne dont on oserait parler ainsi : — la population s’élevant de 130 000 âmes en 1872 à 250 000 en 1902, l’activité partout en éveil, les rues nouvelles percées de toutes parts, les collines éventrées pour faire place à des buildings de dix étages, les vieux palais changés à l’intérieur en bureaux de banques, des quartiers nouveaux se poussant de toutes parts, grimpant sur le flanc des contreforts de l’Apennin, franchissant les remparts et les torrens qui enserraient la vieille Gênes. On s’explique, à la vérité, ces étonnans progrès du port de Gênes si l’on se rend compte qu’ils sont en grande partie l’effet du développement industriel dont a bénéficié à un si haut degré depuis vingt-cinq ans tout l’hinterland génois, toute la vallée du Pô, et dont il n’y a pas de raison, au dire des gens compétens, pour que le Nord italien ne continue pas à profiter pendant quelques années encore, quitte à subir un jour l’inévitable crise de croissance qui menace les peuples jeunes à un certain moment de leur évolution. Cela est évident, et, en un sens, rassurant pour Marseille : l’essor économique de la Haute-Italie est, sinon la cause unique et totale, du moins une cause importante, essentielle de l’essor maritime du port de Gênes, Gênes étant de par sa situation géographique le débouché normal, forcé, de la Lombardie comme du Piémont, de l’Emilie comme du Milanais. C’est ce qui explique d’abord la place énorme occupée par cette matière première de toute industrie, le charbon, dans le trafic de cette cité ligure qu’on a appelée « la mine de houille de l’Italie : » le charbon représente en poids plus de la moitié des importations génoises ; journellement le chemin de fer expédie de Gênes sur le Nord une moyenne de plus de quatre cents wagons de houille, et si l’on veut supposer qu’un jour les Italiens pourraient trouver chez eux, a Savone, par exemple, d’importantes ressources houillères, ou réussiraient à développer largement en Lombardie l’utilisation de la « houille blanche, » ce jour-là, le chiffre du mouvement du port génois pourrait baisser tout d’un coup dans une assez forte proportion.