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Qu’on imagine chacune de ces lignes entourée d’un petit commentaire, nous disant ce que contenait le chapitre révisé à Inveroran, ou dans quelles circonstances Spencer s’est écorché le pied, ou comment il a dormi à l’hôtel d’Oban : et l’on aura une idée à peu près exacte de l’impression de désordre à la fois et de vide que donnent les deux gros volumes de l’Autobiographie du philosophe anglais, avec la masse de leurs menus faits soigneusement répartis suivant l’ordre des dates. Veut-on savoir encore, cependant, de quelle façon l’auteur nous raconte les événemens plus « saillans » de sa vie ? Voici tout ce qu’il trouve à nous apprendre de son premier grand voyage, une excursion en Suisse, faite avec un ami, à l’âge de trente-trois ans, durant l’été de 1853 :


À quoi bon donner un récit de notre voyage ? Tous ceux qui n’ont pas été en Suisse ont lu des livres où l’on en parlait ; et, seul, un génie spécial de description ou d’humour pourrait me servir d’excuse pour un tel récit. Je vais donc m’en tenir au plus bref résumé.

Ma première connaissance avec le continent s’est faite à Anvers ; d’où, après avoir eu juste le temps de voir la cathédrale et le tableau de Rubens, je suis parti pour Aix-la-Chapelle. Arrivé le lendemain matin à Cologne ; puis, après une heure ou deux passées surtout dans la cathédrale, alors inachevée, pris le bateau pour Coblence. Départ le lendemain pour Mayence et Francfort ; grosse déception éprouvée à la vue des fameux bords du Rhin. Deux nuits et un jour à Francfort m’ont été intolérables, à cause d’un accès de mal de dents, le premier après une immunité de trente-trois ans. De là à Bâle ; et de là, après un jour, à Zurich. Dans cette ville j’ai passé environ une semaine ; puis, comme mon ami tardait à venir me rejoindre, je me suis impatienté et ai laissé une lettre pour lui, au bureau de poste, pour lui dire qu’il me trouverait au sommet du Righi… Puis les étapes de notre voyage ont été celles-ci : le long du lac de Lucerne jusqu’à Fluelen et Amsteg ; à Andermatt et Hospenthal ; le défilé et la pointe de la Furca ; monté au Glacier du Rhône, puis à la passe du Grimsel, et redescendu jusqu’aux chutes de Handeck ; à Meyringen : monté à Grindelwald par Rosenlaui…


La relation se poursuit, du même ton, pendant encore une vingtaine de lignes ; et Spencer ajoute simplement que la Suisse, comme le Rhin, a été pour lui une déception. « Au point de vue de la grandeur, elle a réalisé mon attente, mais non pas au point de vue de la beauté. » En effet « la beauté manque à la Suisse parce que les couleurs brillantes et chaudes y font défaut, et que les formes ne s’y combinent pas bien. » Sur quoi l’auteur, pour donner plus d’autorité à son jugement, nous dit qu’il a pour les montagnes un goût très prononcé.