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UN PEINTRE AU JAPON.

esprits est récitée, puis s’élève un chant plaintif entrecoupé de coups frappés en mesure sur le mokugyo, une énorme tête de poisson en bois laqué et doré. C’est la magnifique invocation à Kwannon, la Madone japonaise, la déesse de pitié qui refusa le repos du Nirvana pour s’employer à sauver les âmes :

Ô toi dont les yeux sont clairs, dont les yeux sont bienveillans, dont les yeux sont pleins de pitié et de douceur, ô toi, si belle avec ton beau visage et tes beaux yeux. — Ô toi si pure, dont la lumière est sans tache et la science sans une ombre. — Ô toi qui brilles à jamais comme ce soleil contre la gloire duquel nulle puissance n’a de prise. — Toi, pareille au soleil dans le cours, de ta miséricorde, tu répands la lumière sur le monde.

Les baguettes d’encens s’allument et, avec la fumée odorante de chacune d’elles, monte un vers de la liturgie. Après quoi, les prêtres retournent à leurs places et les adresses à l’âme du défunt commencent ; ses camarades, un de chaque classe, disent leur douleur et leurs espérances. Dernière, parmi les étudians, une jeune fille de l’école normale, a la voix douce comme celle d’un oiseau. C’est maintenant le tour des maîtres ; le poète Katayama, professeur de chinois, vénéré de ses élèves comme un père, vient déplorer en paroles éloquentes que la mort ne l’ait pas pris, lui, si vieux, plutôt que cet être de dix-sept ans, plein de jeunes vertus et de fortes promesses.

Lafcadio Hearn nous parle ici de croyances et nous décrit de pompeuses cérémonies religieuses. Gardent-ils donc la for, quoi qu’on en dise, ces Japonais instruits et civilisés ? Sa réponse mérite d’être opposée aux affirmations négatives trop absolues de beaucoup de voyageurs. Une éducation scientifique, dit-il, a détruit comme partout les superstitions courantes parmi les illettrés. Les formes extérieures du bouddhisme ont cessé d’intéresser nos étudians. Neuf fois sur dix, ils se montrent plutôt honteux des signes de la foi populaire manifestés autour d’eux. Mais le sens religieux qui se cache sous le symbolisme demeure cependant au plus profond d’eux-mêmes. Presque tous les étudians sont sincèrement shinto, non pas par le culte des huit cents myriades de Kami, mais comme observateurs fervens de ce que le Shinto recommande : piété filiale, obéissance aux parens et aux supérieurs, respect des ancêtres. Le Shinto, lié à l’idée moniste qui s’affranchit du bouddhisme inférieur et lui survit, représente pour le Japonais, — qu’il se pique ou non de raisonner. — les