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UN PEINTRE AU JAPON.

peur, mais il a ici à lui seul le Japon du XVIe siècle, les spectres charmans des dames qu’on ne rencontre plus que dans de vieux livres d’images. La lumière qui effleure les formes bizarres de pierre grise, qui vibre à travers le feuillage des arbres longtemps aimés, lui apporte des caresses fantômes… Ce sont les jardins du passé. L’avenir ne les connaîtra que comme les créations d’un art évanoui. Plus d’un a été converti déjà en champ de riz et en bois de bambou ; la curieuse ville, atteinte à la fin par une ligne de chemin de fer, depuis longtemps projetée, deviendra peut-être en dix ans vulgaire et commerciale, elle réclamera ce terrain pour y bâtir des fabriques. « Tout passe, » songe en lui-même ce quasi-bouddhiste de Lafcadio Hearn en évoquant pour se consoler le texte sacré qui fait entrer finalement dans le Nirvana les plantes, les arbres, les rochers et les pierres. Mais avant même cette immortalité, il en décerne une autre à ce qui l’entoure. Le jardin décrit par lui vivra dans la mémoire des hommes, et c’est dans ce cadre adorable qu’il a dû méditer une à une ses interprétations de légendes, de poésies, de curiosités japonaises, entremêlées, comme il le dit, à diverses toiles d’araignées dans le livre illustré par un Japonais et intitulé Kotto.

C’était avant la guerre !


III

« Manzai ! Manzai ! » Ses élèves, du haut des quais, lui souhaitent dans ce dernier salut de vivre dix mille ans. L’heure du départ a sonné. Un long a a a a a a a a a part des rangs pressés d’uniformes. Pendant son séjour à Matsue le maître n’a rencontré chez tous que de la bonté, de la courtoisie ; personne n’a eu, même par inadvertance, le plus léger tort envers lui. Et il se demande si dans d’autres pays que le Japon la même expérience pourrait donner les mêmes résultats. En général, les comparaisons, sous sa plume, aboutissent à la plus grande gloire des Japonais. Comme tous les amoureux, il doit être parfois aveugle, mais il sait découvrir aussi, comme le font dans l’objet aimé les véritables amans, des beautés nouvelles et insoupçonnées, de sorte que, même après les nombreux ouvrages anglais, français et américains, quelques-uns d’une très haute valeur, qui ont paru récemment sur le Japon, il y aura toujours beaucoup à apprendre de cet Européen acclimaté qui longtemps habita l’intérieur,