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Force fut de démonter le Benoît-Garnier et de procéder au portage dans les conditions que les circonstances imposaient.

Pendant seize jours la mission demeura sans abri.

Le 17 octobre, le chaland, remonté près de M’Bourao sur un îlot de vase, commençait, après une perte d’un mois, l’exploration du Toubouri. Cette nappe a, comme le supposait Barth, une centaine de kilomètres de long sur deux à six de large. Des séries de mares profondes la prolongent, reliées entre elles par des bandes herbeuses, au milieu desquelles il s’agit de trouver un chenal. Ces tapis de verdure, ombragés par de beaux arbres et baignés par de jolis étangs, eussent inspiré Lenôtre. Autour de ce parc s’étendent des terres fertiles que cultive une population laborieuse, mais farouche, dont les villages dissimulés au milieu des bosquets sont d’un abord difficile et dangereux.

« La région toubourienne, dit en propres termes le capitaine Lenfant, est extrêmement riche et très peuplée. On y trouve des cultures variées, des pâturages qui nourrissent de nombreux troupeaux, de vastes forêts où se rencontrent des tamariniers géans, des arbres à Comme et à latex. Comme le Moundang, l’homme du Toubouri est sauvage et brutal. La femme, très laide, s’enlaidit encore en s’introduisant dans les lèvres de grands disques de bois qui exagèrent étonnamment leurs dimensions. »

Ces indigènes ont une peur atroce des blancs ; ils parlent encore d’un Européen, — Barth sans doute, — qui, au temps où leurs pères étaient jeunes, vint dans leur pays en compagnie de Bornouans, dont les rapts et les razzias sont légendaires.

On s’explique qu’à l’approche Je la mission Niger-Bénoué-Tchad, ces malheureux se soient empressés de faire le vide. Peu à peu ils s’apprivoisèrent, vinrent à elle et consentirent à lui fournir des vivres, qu’ils furent très surpris de se voir payer en perles et en étoffes.

« La civilisation, ajoute M. Lenfant, a de grandes tâches à remplir dans cette région privilégiée. Il est certain que ces noirs, chassés comme du gibier par les traitans d’esclaves, perdraient vite leur face convulsive, si les bienfaits de l’humanité venaient faire trêve à leurs angoisses, à leur existence affreuse de bêtes poursuivies et traquées. »

Après cinq jours de recherches épuisantes dans des marécages où le paludisme marquait ses victimes, le Benoît-Garnier s’engagea dans une série d’étangs reliés par un sillon qui longe la rive gauche. Ce chenal contourne dans l’est un faible relief, derrière lequel se déroula au regard de nos voyageurs le large ruban du Logone.